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mercredi 11 décembre 2013

Luc Yatchokeu: un Sisyphe heureux

Portrait musique

Pour une première à Yaoundé, le marché des musiques africaines dénommé Le Kolatier a tenu son pari. Propulsant son promoteur sous les feux des projecteurs. Lui qui depuis près de trois décennies travaille au mieux-être des musiques camerounaises et de la sous-région. Retour sur un parcours mouvementé.

En compagnie du président du Conseil francophone de la chanson.
Par Parfait Tabapsi

C’est un Luc Yatchokeu rasséréné que nous avons retrouvé à Yaoundé le 14 novembre dernier. Près de deux semaines après la clôture de la première vraie édition du Kolatier à Yaoundé. Dans le restaurant de l’IFC, il pouvait se laisser aller, se libérer enfin après moult péripéties dues à la bonne organisation d’un événement qui s’était tenu jusque-là dans son fief de Douala. Où depuis près de trente ans il tente de faire aimer la musique, la «bonne» à ses compatriotes. Engagé qu’il est dans un jeu sans filet pour un art qui est partout présent au Cameroun, mais dont la bonne graine tarde à attirer le grand public plus porté sur l’éphémère, le rythme désordonné et les compositions sans relief.
Si Yatchokeu nous est paru si serein, c’est que Yaoundé semble avoir définitivement déraciné le Kolatier de son antre fétiche de Douala. Où depuis 1999, ce marché des musiques africaines essaie d’inculquer aux mélomanes les sonorités des étoiles montantes en expression aussi bien au Cameroun qu’en Afrique de manière générale. Avec ce rendez-vous 2013, deux événements ont redonné à la vigueur à un promoteur qui quelques semaines auparavant cherchait le meilleur moyen de passer le témoin. Fatigué qu’il était d’avoir l’impression d’être mal compris des institutions camerounaises en charge de la culture. Il y a donc eu ce coup de main du chef de l’Etat qui a tenu à ajouter son grain de sel dans cette sauce déjà bien épaisse. Ensuite, il y a que le Kolatier avait été choisi par le Bureau export de la musique africaine (BEMA) pour porter la première édition du Salon international de la musique africaine (SIMA). Deux coups du destin qui n’ont pas été pour peu dans la réussite de cet événement dont les échos continuent à l’heure même de résonner dans la presse camerounaise et africaine. Un vrai défi relevé avec tact et manière et dont les origines remontent à très loin, aussi bien dans l’espace que dans le temps.
L’amour de la musique chez Yatchokeu remonte en effet au temps des culottes dans la localité de Mbanga, à une heure de route de Douala. En ce début des années 60, le jeune garçon découvre la musique par sa mère, membre d’une chorale. Lors des répétitions et des offices religieux, il apprend ainsi à la connaître, à se laisser «habiter» par elle. Il se souvient qu’à l’époque, il était «très intéressé». Surtout quand, arrivé au lycée, il découvre les artistes de la diaspora. S’il s’initie bien au balafon et à la guitare, il ne jouera d’aucun instrument. Ce qui ne l’empêche pas d’intégrer le club musique du lycée. Lui qui n’en finit plus de dépenser ses maigres économies pour s’acheter des 33 et 45 tours, et plus tard des cassettes. «A l’époque, mes préférés étaient Cat Stevens, Joe Cocker et Francis Bebey», se souvient celui qui reprend les refrains sans discontinuer. Ce qui ne l’empêche pas de mener ses études jusqu’à leur terme, histoire de ne pas fâcher ses parents ou son tuteur de Douala farouchement opposés à son envie de faire de la musique une compagne de route.
«Café central»
Son diplôme de comptable en poche, il se lance dans la vie active. Et trouve rapidement un emploi dans un groupe hôtelier et en devient même l’un des responsables. En ce début des années 80 où la crise ne se fait pas encore sentir, les affaires marchent. Et brusquement, les chiffres baissent. «C’est alors qu’avec mes patrons, nous avons pensé à monter un orchestre pour notre café-restaurant. Et là, ma passion me revient !» Il faut trouver des musiciens, les manager, résoudre des problèmes d’intendance, etc. Retour donc aux premières amours, avec à la clé une entente avec les artistes. Toutes les stars du moment passeront donc par le «Café central» en plein cœur du quartier des affaires Akwa, pas loin de la Place des portiques.  «Je me souviens encore que c’est dans notre café qu’Elvis Kemayo, devenu animateur à la télévision nationale, venait signer les contrats avec les artistes qui allaient passer dans son émission très prisée». Tout cela ravive la flamme et pousse Yatchokeu à s’investir d’avantage. Il crée alors le label CECADINE (Centre camerounais de diffusion et de négoce) qui tente de marier art et business. Il devient aussi producteur avec un premier 33 tours signée Marthe Zambo et qui a pour titre «Anga Jo». «Mon souci alors est de faire connaître les artistes ayant un talent certain, mais passés sous silence par une conjoncture spéciale». Il s’accroche, demande conseil à Claude Tchemeni d’Ebobolo Fia qui signe les grosses pointures à Yaoundé.

Bandjoun Station, the Art Towers !

Arts plastiques

A Bandjoun, village voisin de Bafoussam à l’ouest du Cameroun, le plasticien Barthélémy Toguo a construit une œuvre architecturale qui flatte les sens ainsi qu’un musée et un centre d’art contemporain avec un fond de qualité. Visite guidée.

Incroyable. Magnifique. Impressionnant. Extraordinaire. Samedi 16 novembre à la fin de la cérémonie d’inauguration de Bandjoun Station, c’était la course aux qualificatifs. Tant l’œuvre architecturale et le projet sur lequel il s’adosse étaient tout simplement inhabituels en ce lieu et sans doute au Cameroun et en Afrique. Ce d’autant plus que les autorités avaient tenu à magnifier l’instant de leur présence, histoire de dire que ce projet appartenait désormais à la communauté tout entière si ce n’est à la multitude. De la ministre des Arts et de la Culture au gouverneur de la région de l’Ouest, tout le gratin administratif avait fait le déplacement, à l’exception notable du maire de Pété -et voisin-  Victor Fotso qui avait envoyé sa première adjointe dont le discours ne manqua pas de saluer cette initiative qui en rajoute au statut de ville touristique d’un village qui peu à peu avance vers la modernité.
Pour la ministre Ama Tutu Muna à qui était revenu l’honneur de prononcer le discours d’ouverture de ce musée et centre d’art contemporain, l’émotion était perceptible. D’ailleurs, avant d’engager son laïus, elle fit savoir combien elle était impressionnée par l’initiative et l’œuvre avant de souligner plus loin la capacité de son promoteur à fédérer les compétences nécessaires à son but artistique. Un point de vue qui résonnait en écho de la présentation que Barthélémy Toguo fit de lui-même. Propos dont on put retenir le côté prométhéen de ce gamin né à Mbalmayo où il fit ses premières armes avant de rejoindre l’étranger où, d’Abidjan à Düsseldorf en passant par Grenoble, il fit ses humanités de plasticien auprès de grands maîtres. Pendant 10 ans. Avec pour résultat des œuvres qui irradient depuis une quinzaine d’années les «espaces qui comptent» des œuvres d’art du monde. Comme ce fût le cas par exemple en 2011 quand il lui revint de réaliser l’affiche du prestigieux tournoi de tennis de Roland Garros à Paris.
Bandjoun Station, c’est le projet de sa vie. Un de ceux qui vous étripent, vous aveugle parfois, mais vous positionne dans l’univers collectif comme une singularité. Il y a dix ans, depuis ses appartements du 20è arrondissement, celui dont le travail côtoyait déjà les cimes de l’art contemporain a fait un rêve : celui de contribuer à endiguer la saignée du travail artistique de ses compatriotes et frères d’Afrique. Pas moins. Car après que la colonisation européenne, à travers les administrateurs et les missionnaires, ait emporté l’essentiel du travail artistique d’ici, il se trouve que les travaux d’artistes contemporains sont en grande partie exposés et consommés à l’étranger. Il devient alors «urgent de créer un lieu pour promouvoir l’art et la culture dans sa diversité tout en conservant la production contemporaine aujourd’hui sur le continent africain».
Une posture militante que Toguo assume, lui qui estime qu’il «fallait faire quelque chose de toute urgence. J’ai donc imaginé ce projet et échangé avec des confrères à l’international en vue de faire vivre cet art sur notre continent, c’est-à-dire sur le lieu même que les œuvres n’auraient pas dû quitter.» C’est alors qu’il a commencé à piocher dans les fonds que sa pratique des arts plastiques lui a procuré pour matérialiser son idée. Une première étape conclue par la décision de s’installer à Bandjoun, non parce que c’est son village d’origine, mais simplement parce qu’il ne souhaitait pas perdre de l’anergie à défendre un terrain qu’il aurait acheté ailleurs. Ce sera donc sur les terres familiales que sera bâti Bandjoun Station !

Carrelage et motifs
En voyant la qualité de l’architecture aujourd’hui et la situation au bord de la Nationale n°04, il apert que le choix du terrain fût judicieux. De l’extérieur, l’architecture tranche d’avec l’existant aux environs dans ce quartier de Hiala. La façade principale respire une luxuriance de motifs où la signature de Toguo apparaît clairement : ces têtes communicantes et ces mains sur un pilotis en échelles. Le tout encadré par un carrelage et deux pavés de rectangles multicolores sur les deux barrières de la façade. Sur l’une d’elles, une inscription en ghom à la !, la langue du terroir, souhaite la bienvenue au visiteur. Si déjà ce dernier peut apprécier le travail artistique, c’est une fois dans la cour avec sa tribune à gauche qu’il peut bien apprécier l’architecture. Les deux bâtiments paraissent alors imposants, voire vertigineux. Des baies vitrées alternent d’avec le carrelage des colonnes et de grandes surfaces crépies où reposent des œuvres : il y a là des trèfles, des vases, des animaux de la basse-cour ou simplement des yeux. L’harmonie des couleurs donne également à l’ensemble un cachet familier, une invite à la visite, sanglée qu’elle est dans une simplicité qui convoque l’art local et l’art d’ailleurs.
Dans le bâtiment à gauche, sont proposées sur trois étages une partie du fond collecté par Toguo en 25 ans de carrière. Il y a là les Roberto Matta, Louise Bourgeois, Antoni Tapiès et nombre d’œuvres d’artistes africains comme Frédéric Bouly Bouabré (Côte d’Ivoire), Lillanga (Tanzanie) ou Cyprien Takou Dagba (Bénin). Car il n’était pas question pour le promoteur de ce musée d’alimenter le ghetto africain : «j’ai des œuvres d’une force et d’une pertinence incroyable, inégalable sur le continent», ose d’ailleurs Toguo qui dit disposer d’une collection de plus de 1.000 œuvres. Cet édifice est divisé en cinq plateaux de 120 m² de superficie chacun: un sous-sol pour les rencontres et projections, un salon de lecture au rez-de-chaussée, les deux premiers étages pourront accueillir des expositions temporaires, le troisième niveau quant à lui devant abriter donc les œuvres des artistes du monde entier.
Le bâtiment de droite se compose de l’atelier /studio de quatre étages (22 m de hauteur), soutenus par de solides piliers en béton armé. La structure est surmontée d'un pignon de 11 m de hauteur et couverte d'une charpente à double pyramide qui respecte les règles séculaires de l'architecture traditionnelle locale avec ses toitures effilées.
Un ensemble qui donne aux bâtiments l’allure d’une résidence de notable que Toguo ne tardera sans doute pas à l’être. Par son travail. Le chef supérieur Bandjoun Honoré Djomo Kamga n’était-il pas présent à l’inauguration ? Lui qui dût trouver du temps dans son programme chargé par ces temps de fête culturelle de son peuple –le «Msem Todjom»- pour être de la primeur de cette soirée du 16 novembre et dont le regard trahissait assez singulièrement sa joie devant ce travail d’un fils du terroir.

Ateliers et nature
Ce d’autant plus que le projet de Toguo comporte également un volet agricole. A cinq km du centre d’art contemporain, cinq hectares de plantations bien entretenues expriment la détermination et la postule militante de son promoteur. Un volet qui a pour but d’après Toguo «de développer l’agriculture pour faire face à la détérioration des termes de l’échange qui appauvrit notre continent tout en enrichissant les autres». C’est ainsi que des cultures variées sont en friche ici, avec pour finalité leur transformation sur place. «Il nous faut fixer le prix de nos cultures nous-mêmes», insiste Toguo qui a commencé la torréfaction du café à l’effet de le transformer sur place. Un acte militant et même politique donc Toguo n’est pas peu fier. Pour lui, «Ce volet d'intégration environnementale et d'expérimentation sociale se veut un exemple pour la jeunesse locale afin de créer des liens dynamiques et équitables entre le collectif d’artistes associés au projet et leurs hôtes et démontrer qu’il faut aussi croire à l'agriculture pour atteindre notre autosuffisance alimentaire». Ici également, l’art est au rendez-vous. Chaque parcelle, il y en a cinq en tout, comprend des constructions dont l’architecture détonne d’avec le magnifique paysage alentour. Sur le flanc des collines en effet, Toguo a fait bâtir des constructions aux motifs artistiques qui ne sont pas sans rappeler Bandjoun Station. Sur les murs des maisons avec des toits coniques, un carrelage subtil fait apparaître nettement des œuvres picturales. Quand ce ne sont pas les doigts de la main, c’est une tête qui crache du sang par goutte. Signe sans doute du labeur qu’il y a à travailler sur les flancs. Avec à chaque fois une forte présence du noir sur des couleurs plus brillantes et chatoyantes. Toguo fait d’ailleurs savoir que ces motifs sont fait express vu qu’ils permettront aux artistes en résidence qui le souhaitent de venir travailler dans la nature profonde où les cris d’oiseaux migrateurs et la verdure se le disputent avec de magnifiques vues sur la ceinture montagneuse alentour.
Toutes choses qui ne sont pas rien dans le désir du plasticien d’effectuer son retour au pays. C’est ainsi que Toguo a construit un gigantesque atelier à un km de Bandjoun Station. Où sur deux étages et un sous-sol, il compte se retirer pour ses prochaines créations. Ici aussi, les murs sont décorés de motifs accueillants. Des motifs réalisés par Toguo himself. Encore en chantier, il ne transfère pas moins chez le visiteur l’impression de gigantisme qu’il dégage. Là où l’on pensait à un atelier vétuste, l’artiste a aménagé des salles de travail, de spectacles et de rencontres d’avec des artisans du village. Nul doute que pareil lieu secrétera bientôt des œuvres d’une portée internationale. Pour l’heure, Toguo fait simplement savoir que ce lieu n’est pas simplement un atelier. Il pourra se muer à l’occasion en espace de réjouissance publique, engoncé qu’il est au pied d’un relief où la fraîcheur de la nature n’a pas encore été saccagé par les affres de la modernité.

Parfait Tabapsi

mercredi 4 décembre 2013

Manu dibango: le Cameroun au cœur

Portrait musique

A Paris dans les studias d'Africa N°1.
Malgré son départ en 1949 et de nombreux échecs lors de ses multiples retours, ce poly-instrumentiste continue de chanter son pays natal. Et à 80 ans, il réclame avec conviction un conservatoire pour sauver les talents qui s’y trouvent.

Manu Dibango est un géant. Au propre comme au figuré. Et quand vous le croisez en dehors des sunlights, il vous apparaît plus grand encore. A le voir assis, on a même l’impression qu’il est une force de la nature. Toujours hilare, il aime d’habitude parsemer les échanges d’un fou rire qui, au fil des ans, est devenu une identité remarquable de sa personnalité publique. Dans les locaux de la radio panafricaine Africa n°1, sis rue Faubourg Saint Antoine à deux pas de la Place de la Bastille, où il nous reçoit à Paris en cette après-midi du 22 octobre 2013, il a perdu ce tic. Il semble plus en colère. Une colère rentrée qu’il ne partagera qu’avec nous et pas avec les auditeurs avec qui il a un rendez-vous hebdomadaire.
Et s’il s’adresse aux auditeurs du continent et de sa diaspora à qui il parle des musiques d’Afrique, il n’en demeure pas moins foncièrement camerounais. Arrivé en France après la 2è Guerre mondiale pour poursuivre ses études, il continue de marteler qu’il n’a pas changé. «J’aime le Cameroun, et après, il y a ce qui est dans ce pays et qui va du malus au bonus !». Il insiste pour dire à l’occasion qu’il n’est pas «un musicien camerounais. Je suis un musicien d’origine camerounaise. Ça me permet de ne pas avoir la charge d’être responsable de quelque chose où je ne devais pas l’être. Je suis un peintre qui se sert des couleurs. En restant musicien d’origine camerounaise, j’ai ma liberté de peintre», argumente-t-il.
Son rapport avec le Cameroun dans sa carrière commence en 1963. Installé à Kinshasa, où il avait ouvert un cabaret, il décide de rentrer au bercail sous le conseil de son père. A Douala, il ouvre un autre cabaret. Qui fera long feu, du fait, explique-t-il dans un livre-interview paru il y a une vingtaine d’années, du non-respect des règles de gestion et de l’envahissement de la famille. Ruiné, il repartira en France. Pour revenir au début de la décennie suivante. C’est chez ses parents à Douala qu’il goupille son succès planétaire ‘Soul Makossa’ en effet. Un titre qui au départ devait meubler la face B du disque commandé par l’Etat comme hymne pour la coupe d’Afrique des nations de football qu’organise alors le Cameroun en 1972.
Conservatoire
Ce succès, loin de l’éloigner de son pays, va l’y ramener moins d’une décennie plus tard. Cette fois, il s’installe à Yaoundé où il ouvre un autre cabaret. Nouvel échec. Un peu comme si la terre natale ne voulait pas de lui. De cette période, il dit ne pas garder d’amertume et dès qu’il se rend à Yaoundé, comme il y a quelques semaines, il rend visite à des amis avec qui il parle du bon temps. Dernièrement, il dit avoir rencontré le président de la République à qui il a confié, sur le ton d’une boutade : «M. le président, on danse beaucoup au Cameroun». Une façon à lui de mettre en garde contre la dérive jouissive du corps social qui tend à faire son lit, mais également sur la nécessité d’encadrer ces talents qui n’en finissent plus de poindre. Il dit avoir eu l’oreille de son illustre interlocuteur qui a d’ailleurs demandé à ses collaborateurs de prendre note. Il rappelle au passage et pour l’histoire : «Je me souviens de mon retour au Cameroun le 6 janvier 1963 ; c’était un dimanche. Le lendemain, je suis allé voir Mouasso Priso qui était à la radio avec Jacques Ndicki et, au cours de l’interview, j’ai dit qu’il fallait ouvrir un conservatoire chez nous. Et là on est en 2013 !»
En compagnie de son biographe Gaston Kelman.
Il espère que l’Etat viendra un jour à résipiscence et ouvrira «au moins un conservatoire. Il nous en manque et c’est bien à l’Etat de le faire, par ce que si les privés s’en chargent, très peu d’élèves de classes moyenne pourront y séjourner du fait de la cherté de la scolarité». Il le dit avec sérieux, ajustant ses lunettes de soleil sur un visage plutôt triste. Et ce même s’il reconnaît que «la culture [lui] pose problème. Je ne sais pas s’il y a un projet». Un projet du type «Fleurs musicales du Cameroun», du nom d’un disque paru il y a 30 ans. Et qui rassemblait la crème des musiciens camerounais du moment dans un double disque à succès. Une idée de Guillaume Bwelé, ministre de la Culture d’alors. «On a fait les artistes qu’il y avait à l’époque. Et si certains ont disparu depuis, il y a au moins une trace. Mais où en est-on avec le 2è point ? Y a-t-il un projet dans ce sens ?»

Des questions qui signifient son spleen pour un pays qu’il porte toujours dans son cœur et dans son carquois artistique. Un pays pour lequel il continue d’être un ambassadeur. Lui qui persiste à chanter en langue douala, «par ce que je pense que c’est à partir d’elle que je fais la musique. C’est cette langue qui me donne le son». Tout comme la ligne rythmique de son orchestre depuis 20 ans repose sur des musiciens camerounais. Dans quelques jours, il sera à Yaoundé avec sa famille. Peut-être qu’à l’occasion, il aura une réponse à ses questions. Ou pas. Mais pour lui, la vie continuera, empêtré qu’il est en ce moment dans la tournée de ses 80 ans. Une tournée qui ne passera pas par le bercail où il veut éviter de «faire le concert de trop».
Parfait Tabapsi à Paris

Adèle Etogo : passion chant

Portrait musique

Lors des répétitions de la chorale à Yaoundé.
Les mélomanes avertis que vous êtes conviendrez certainement avec moi que l’univers musical camerounais s’enrichit de talents particulièrement jeunes, aux compétences diverses, à l’imagination débordante et à la créativité trépidante.
Il y a exactement un an, j’ai eu le plaisir de croiser sur mon chemin une de ces personnes dans un milieu finalement très peu mis en lumière et pas assez connu des médias nationaux. Je voudrais me risquer à lui trouver des points communs avec une jeune chanteuse anglaise qui a ravi le cœur des férus de musique. Toutes deux s’appellent Adèle, ont pour premier instrument de travail leur voix et nourrissent pour la musique une grande passion depuis leur tendre enfance. Au niveau des genres par contre, elles évoluent dans des couloirs artistiques bien distincts : si le style qu’a choisi Adèle l’Anglaise est très apprécié, on ne peut en dire autant d’Adèle notre compatriote, qui s’est éprise du chant lyrique dès son jeune âge. Cela, elle le tient de son défunt père organiste qui a cultivé chez elle des goûts vraiment spéciaux, en l’initiant très tôt à la musique.
Et à force de belles rencontres dans le milieu choral où elle s’est forgée cette identité, Adèle Etogo, puisqu’il s’agit d’elle, en est arrivée à éprouver différents genres musicaux (classique, folklorique, grégorien, liturgique, madrigaux, opéra, etc.), à développer et à diversifier ses compétences. Des compétences qu’elle a su rapidement mettre à contribution et renforcer, tout d’abord en fréquentant des chœurs privés, dont le Chœur madrigal de René Esso pendant une dizaine d’années, et ensuite en montant son propre chœur, la Schola Cantorum (école de chant), avec la double ambition de professionnaliser le chant choral camerounais et de doter les artistes musiciens en herbe de connaissances et de compétences solides en musique.
Pour l’avoir fréquentée quelques temps, je puis vous dire que notre Adèle, dont la jovialité caractéristique ne laisse assurément pas indifférent, est dotée de qualités exceptionnelles à enseigner le chant et la musique avec aisance et patience, à diriger un chœur avec ferveur et maestria, mais surtout à s’exercer au chant lyrique depuis près d’une vingtaine d’années avec un enthousiasme contagieux.
Si je me fais aujourd’hui le devoir de parler de cette jeune artiste, c’est pour susciter en vous l’envie de l’écouter, d’apprécier son art et de vous laisser séduire par son grain de voix que aurez l’occasion de découvrir en exclusivité à l’occasion du récital qu’elle donnera le 20 décembre prochain. Au programme, des sonorités originales qu’elle veut risquer à nous faire goûter pour nous amener à explorer d’autres genres musicaux qui tranchent avec ce que nous avons l’habitude d’entendre. J’espère avoir aiguisé en vous une forte dose de curiosité qui vous poussera à vivre par vous-mêmes cette expérience artistique en cette fin d’année.

Jacinte Noussi

lundi 25 novembre 2013

Le SIMA met en osmose l’ouest et le centre de l’Afrique

Musique

Communion entre Kassey (Niger), Petit Kandia (Guinée)
et Krotal (Cameroun).
Elle fut belle cette dernière scène du Kolatier 2013. Devant un public en transe, embarqué par un Mamar Kassey venu de son lointain Niger, Yaoundé était en fête ce samedi 02 novembre. Se trémoussant jusqu’au milieu de la nuit pour un événement qui en était à une première salutaire au Cameroun à savoir le Salon international de la musique africaine (SIMA) qui avait choisi le Kolatier pour l’accueillir. Une première qui a eu lieu après le partenariat noué par le REPAC, Rassemblement des professionnels d’Afrique centrale, piloté par Luc Yatchokeu, et le Bureau export de la musique africaine (BEMA). Il n’est pas superflu de dire qu’avec ce public emporté par Kassey, les organisateurs se sont frotté les mains. Regardant déjà vers la 2è édition du SIMA qui aura pour théâtre Dakar l’année prochaine.
Mais avant, ils seront sans doute heureux d’avoir pu tenir en haleine le public difficile de Yaoundé. Surtout lorsque l’on sait que jusqu’ici, le Kolatier se tenait plutôt à Douala. Pour cette étape, le premier challenge du SIMA aura été de mettre en valeur et en osmose les univers musicaux de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Dans un dialogue heureux qui a permis non seulement la découverte de riches patrimoines mélodiques et rythmiques, mais également des artistes au talent certain. La première scène, celle de l’IFC, aura été un véritable laboratoire de ce point de vue. Elle qui a connu le premier soir une effervescence conduite par une Maryse Ngalula qui sut, malgré des conditions techniques encore en rodage, donner une lecture nouvelle du mutuashi, ce rythme du Kasaï, vaste espace culturel d’envergure perdu au milieu des richesses minières de la RDC. Ngalula, à travers un mutuashi plus explosif a répondu en écho à son aînée Tshala Muana. En faisant recours dans son odyssée créatrice aux guitares blues et jazz que les amateurs n’ont pas manqué de saluer de la plus belle des manières.
Les jours suivants, le Sénégalais Noumoucounda Cissoko, le Guinéen Petit Kandia et bien sûr Kassey allaient rivaliser d’adresse et de créativité pour emballer le public et donner la réplique à Ngalula, mais aussi à Erna Chimu (Namibie) et Hope Street (Burundi). Et le Cameroun alors ? Non seulement l’organisation lui consacra une scène entière à l’esplanade du Palais des sports où la décoration et la qualité du son et des lumières furent saluées, mais les sélectionnés furent à la hauteur. Si la jeune Laro parut émoussée le premier jour à l’IFC, il y a que la suite fut plus intense. Permettant au passage de visiter les univers rythmiques d’un pays qui ne compte pas que des chanteurs faux. La qualité donc, il y en eût ! Au rang des souvenirs inoubliables, Queen Etemé qui, dans un concept très acoustique donna une leçon de chant et de choses. Il y eût également Marie Lissom, jeune louve aux dents longues ; le Kemit 7 du pianiste et compositeur Ruben Binam, un groupe constitué en grande ligne des grands orchestres qui firent l’honneur du continent noir dans les trois premières décennies de son indépendance. En voyant ces jeunes porter cette esthétique convoquant à la fois les rythmes du terroir et ceux de la diaspora noire des Caraïbes (panafrican groove disent-ils), il est rapidement apparu que ce groupe de seulement deux ans d’âge avait de beaux jours devant lui.
Marie Lissom sur les planches de l'IFC.
Les autres ambassadeurs du Cameroun, exceptés le groupe Mballe Mballe qui explore le ‘hip hop assiko’ avec réussite; Prince Ndédi Eyango, le montagnard dont le talent est toujours au sommet ; Krotal dont la prestation le dernier jour a sonné comme un virage important d’un parcours singulier qui se poursuit allègrement dans un univers qui a finalement adopté le rap et le hip hop, auront un peu déçu. Surtout Ama Pierrot et Stypack Samo qui n’ont pas semblé mesurer l’ampleur du moment.
Pour ce qui est de l’organisation, elle fut réussie. Il n’y eût pratiquement aucun couac malgré l’éclatement des espaces. Un QG à la Centrale de lecture publique, une scène à l’IFC et une autre au Palais des sports. Une sorte de triangle de la joie où les peccadilles n’ont pas entamé l’essentiel. Les rencontres professionnelles, notamment les tables-rondes, furent d’un bon niveau globalement et les speed meetings ont permis aux acteurs et opérateurs du secteur d’échanger avec des experts de haut niveau qui avaient tous fait le déplacement.
Après pareille réussite, Yatchokeu et son groupe qui ont ainsi fait honneur à leur pays devront faire attention à ce que le soufflet ne retombe. Car le Kolatier 2015 est déjà en ligne de mire. Le public de Yaoundé en tout cas les attendra au tournant. Trouveront-ils les ressources nécessaires pour cette échéance déjà attendue ?
Parfait Tabapsi

Great comeback de Danielle Eog !

Concert

Danielle Eog avait disparu des radars médiatiques, et même scéniques, depuis quelques mois. La dernière fois d’ailleurs qu’elle avait rencontré les médias, c’était pour parler de son premier album solo, de longs mois après un single qui lui-même avait fait long feu. Elle était alors toute ronde de grossesse, l’air un peu éméché, des yeux globuleux déterminés avec ce regard de guerrier qu’elle sait invoquer dans les moments difficiles. Et puis, cette place de finaliste du prix Découvertes Rfi est venu rappeler aux mélomanes le souvenir de cette chanteuse dont la voix a accompagné bien d’artistes dans des univers variés.
C’est donc dire s’il y avait de l’appréhension, si ce n’est plus, chez ceux des mélomanes qui ont répondu à son appel vendredi 22 novembre dernier à l’IFC de Yaoundé. Où elle avait prévu un live adossé à son opus enfin disponible, quoique l’un de ses proches ait fait savoir que le bon master avait été confondu à un autre de moins bonne qualité. En tout cas, le public était loin de tout cela, lui qui voulait voir cette candidate qui avait échoué au pied du graal et dont certains disaient avant l’entame du bien.

Malgré le retard à l’allumage et ses rondeurs prononcées dues sans doute à la récente maternité, Danielle a assuré. D’abord par sa voix. Unique au milieu de la nouvelle vague de chanteuses que connaît actuellement le Cameroun. Oui Eog a étonné par cette voix de jazzwoman qui sait tapisser des compositions osées sur des airs exhalant la peine des mauvais jours. Ce d’autant plus que ce soir-là, son physique rappelait étrangement celui de ces grandes voix du jazz, telle cette Randy Crowford nouveau cru, loin de la filiforme qui éblouit l’univers jazzistique des années 80.  Eog, qui a ajouté il y a quelques années Makedah à son patronyme, a chanté et fait savoir que son échec aux Découvertes Rfi n’avait rien à voir avec son niveau de chant dont la tessiture s’accommode bien à l’univers du jazz. Ce d’autant plus que ses compositions parurent tout aussi abouties. Compositions que des instrumentistes de renom ici ont su porter, notamment Jules Tawembé (keyboards), Roddy Ekoa (drums), Guillaume King (guitar) et Paul (bass), avec en guest star Serge Maboma, le bassiste et chef d’orchestre du groupe Macase dont on attend impatiemment l’album de «la nouvelle écriture».
Le public connaisseur a apprécié, avant de se ruer à la sortie sur les albums en vente que l’hôte du jour s’est empressée de signer, son éternel sourire aux lèvres. Elle qui en quelque 13 ans de carrière a souvent su composer avec des univers souvent dichotomiques à première vue et qui foisonnent dans l’espace urbain. Elle dont la générosité artistique a souvent fait mouche –pour cette soirée, elle fit recours à un slameur qui ouvrit et referma le concert d’une prestation vocale remarquée. Elle à qui beaucoup souhaitent une carrière aussi longue que son bras. Une Eog que l’on peut désormais appeler Makedah, la reine du chant jazz de la nouvelle génération.  

P.T

Indémodable Youssou Ndour

Concert

Le chanteur sénégalais est revenu plus fringant sur la scène de Bercy après une parenthèse politique qui avait fait craindre le pire.
Dans une édition précédente, il avait apparu depuis le ciel de Bercy. Pour la plus grande joie des fans accourus en cet antre mythique du fameux «Grand bal» auquel il nous a habitués depuis 1999. Samedi 12 octobre dernier, c’est depuis le sous-sol qu’il a entamé son entrée. Pour une odyssée qui restera comme l’une des plus accomplies de cet événement qui chaque année rassemble la communauté sénégalaise de Paris et des villes plus ou moins proches.
Pour cette cuvée 2013, Youssou Ndour et son «Super étoile» rénové n’ont pas fait dans la dentelle. D’abord par la durée. Plus de quatre heures de musique non stop où la transe a parfois frôlé l’apoplexie, sans toutefois déborder comme la masse nombreuse aurait pu laisser craindre. Et si les fans s’en sont donné à cœur joie, c’est parce que Youssou a assuré. D’abord par le répertoire de 32 titres triés sur l’ensemble de ses succès depuis les années 90. Et même si d’aucuns ont regretté à la fin que tel titre aurait mérité de figurer au générique du soir, il y a que beaucoup y ont trouvé leur compte.
Pour ceux qui craignaient que les choix politiques aient emporté dans leurs débats sans fin la voix de l’étoile de Dakar, la prestation leur a ôté de plus d’un doute. Oui la voix de Youssou n’a pas pris de ride. Elle semble même avoir atteint son nirvana avec l’âge, un peu comme les grands crus made in France. L’autre élément d’identification de cette soirée se retrouve dans les accoutrements qui ont varié du traditionnel –une tenue de notable surgie de la mythologie sénégalaise- au costume trois pièces en passant par des boubous modernes, signe de toutes les traversées de ce lion inoxydable qui trace son chemin international depuis 30 ans et le compagnonnage d’avec l’Anglais Peter Gabriel. Il a donc chanté et chanté encore, stoppé seulement par une nuit froide qu’il avait réussi à apprivoiser et à échauder pour le plaisir des mélomanes émoustillés.
Sur la rythmique et les sonorités du Youssouland, la partition fût maîtrisée ce soir-là à Bercy. Ce qui était loin d’être une sinécure pour cette galaxie étoilée d’une vingtaine de membres parmi lesquels au moins cinq nouveaux venus. Quatre Camerounais sur la scène (Stéphane Obam à la basse, Alain Oyono au saxophone et clarinette, Marc Ndzana à la batterie, et Aubin Sandio au piano) ainsi qu’un autre dans les coulisses (Serge Maboma du groupe Macase) ont fait plus que représenter le Cameroun. Ce d’autant plus que pour les deux premiers, l’officiant de cette messe enfiévrée aura laissé plus d’une occasion d’exécuter des solos leur permettant de montrer l’étendue de leurs possibilités artistiques. Ce qui a rajouté à ce rendez-vous sénégalo-sénégalais une coloration panafricaine. Situation que les présences du Guinéen Sékouba Bambino, de la Nigériane Ayo et du Congolais Fally Ipupa auront illuminée d’un arc-en-ciel heureux.
Les fans, emportés comme jamais, ont laissé libre cours à leurs envies trop voyantes de se trémousser. Voix et danse se sont ainsi donné la main dans une sarabande belle à admirer et qui permettait à Youssou de clamer à la face du monde que l’Afrique avait autre chose à offrir, plus que la misère et les guerres que les médias occidentaux ne cessent d’asséner à des spectateurs au demeurant las de cette ritournelle qui n’en finit plus de les emballer. Cette atmosphère ne connut qu’une pause avec trois titres reggae de l’album ‘Dakar-Kingston’ dont l’interprétation, pourtant impeccable, fit long feu. Pour ce grand bal 2013, la messe pouvait être dite passé deux heures du matin. Laissant sur le carreau des fans à la gueule de bois, repus et décidés à remettre ça à la prochaine occasion. Et comme l’a lâché l’un d’eux, «Youssou c’est l’assurance d’un bon spectacle, d’une bonne musique et d’un bon message». Vivement le prochain Bercy.

Parfait Tabapsi à Paris

vendredi 20 septembre 2013

Cilas Kemedjio: La pensée et l’imaginaire sont menacés chaque fois que nous renonçons au devoir de penser

Littérature

Cilas Kemedjio, USA, 2013.
L’auteur analyse ici le contexte de production de la somme et dit son souhait de se mettre à la disposition de son pays dans son champ de compétence qu’est la critique littéraire.

Pourquoi la publication du livre a-t-elle pris du retard ?
Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à cette première édition des textes originaux du Parlement. Votre question présuppose qu’il existerait des délais par rapport auxquels le texte aurait pris un retard. Je voudrais donc aborder votre question, non pas sous l’angle de quelque délai que ce soit, mais de l’opportunité de la publication des textes en 2013. Les textes du Parlement ont été publiés sous une forme une autre par les journaux tels que La Nouvelle expression, Le Messager, Le Combattant ou encore Peuples Noirs-Peuples Africains, revue fondée et dirigée par Mongo Beti. Les textes non publiés par ces journaux ont fait l’objet d’une distribution pour ainsi dire confidentielle. Je voudrais aussi signaler que nous n’avons jamais placé de restriction sur la publication de ces textes. Nous les considérons comme faisant partie du patrimoine public de l’intelligence camerounaise et africaine. Toute personne physique ou morale aurait pu et peut les publier. Nous ne revendiquons aucun droit d’auteur restrictif. La troisième raison se trouve dans le fait que ces textes avaient été écrits pour formuler les revendications des étudiantes et étudiants. Au départ, il n’existait aucune intention et encore moins un programme de les transformer en publication cohérente. Ceci dit, je dois dire que l’idée de la publication m’est venue en lisant les reportages des journaux camerounais sur les mouvements de protestations à l’Université il y a quelques années. J’ai lu quelque part que ces étudiantes et étudiants se battaient pour avoir des toilettes décentes. Je me suis dit qu’on était tombé très bas. En effet, si les toilettes manquent, comment peut-on imaginer que les bibliothèques soient fonctionnelles, que les enseignements soient à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’une Université. Je me suis aussi dit que ces étudiants n’avaient peut-être pas de mémoire historique pouvant guider leurs protestations. J’ai donc décidé à ce moment de rassembler ces textes dans une édition pouvant permettre aux activistes et chercheurs d’avoir ces textes. L’idée remonte à environ cinq ans. J’ai pris le temps pour faire des recherches au Cameroun (surtout dans les archives du journal Cameroon Tribune), de lire les textes écrits sur le Parlement, y compris la mémorable version qu’en donne Francis Nkeme dans «Le Cimetière des bacheliers» et de rassembler les textes nécessaires. La présente édition découle de cette intention et de ce travail.
Vous commencez votre introduction avec la figure de l’artiste Lapiro de Mbanga qui, à vous lire, a été un traître à la cause des opprimés. Et du coup l’on a envie de vous demander si le  Parlement a lui aussi connu ses Judas et comment vous en êtes venu à bout dans votre lutte pour un mieux être des étudiants à l’époque.
La traîtrise est pour ainsi dire fondatrice de la conscience patriotique camerounaise. Je vous renvoie aux discours de Ruben Um Nyobé qui établit une classification des militants de l’indépendance. Mongo Beti, un des derniers rubénistes, estimait qu’il fallait mettre les traîtres en quarantaine pour éviter que le virus qui les frappait ne contamine toute la tribu de la résistance. Ses joutes avec Hogbe Nlend tournaient autour de cette question éthique. La traîtrise fait partie de la structuration des mouvements progressistes. Elle permet de protéger la pureté de l’idéal quand elle ne devient pas souvent le prétexte des règlements de compte ou des positions alimentaires. La pathétique fragmentation de l’Union des Populations du Cameroun n’est pas étrangère au débat sur les vrais ou les faux héritiers de la conscience patriotique. Je n’ai pas conscience, parmi les parlementaires de la lettre, de quelque soupçon de traîtrise. En ce qui est du Parlement dans son ensemble, je n’ai pas la compétence nécessaire pour répondre à cette question.

A vous lire, l’on ne saisit pas bien comment s’organisait le Parlement. Il y a bien sûr nombre d’éléments sur la stratégie, mais l’on ne sait pas en refermant le livre si le «Parlement de la plume» était une composante du Parlement-association ou une excroissance d’icelui. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point capital dans la compréhension du livre et des événements de l’époque ? 
J’aime beaucoup le titre de votre magazine, Mosaïques. La mosaïque est un patchwork, un assemble de fragments. Le travail de composition doit avoir cependant un objectif clairement identifiable. Le Parlement était, à mon avis, une mosaïque qui fédérait un front de résistances au sein de l’Université. Il y avait clairement un leadership qui a impulsé le mouvement et qui a tant bien que mal assuré la coordination. Je n’appartenais pas à cette cellule dirigeante. En parler serait de la pure imposture. J’ai la conviction, comme le suggérait Paul Aarons Ngomo dit Fanon, dans un échange que j’ai eu avec lui, que le véritable héros de ces mouvements fut et demeure le parlementaire anonyme. Toute étudiante ou tout étudiant qui militait au Parlement avait des raisons personnelles de le faire. La force du Parlement vient de la mise en commun de ces convictions. Les forces de répression, habituées au culte du dictateur unique, ont passé leur temps en vain à poursuivre les leaders du Parlement. Ils ont dépensé vainement leurs énergies à rechercher les forces de l’ombre qui manipulaient les étudiantes et étudiants. Une telle approche s’est avérée désuète devant la force des parlementaires anonymes. Vers la fin, la chasse indiscriminée à l’étudiant montre bien que le bras armé de la dictature avait pris conscience de l’inadéquation de ses méthodes surannées. L’expression «parlementaires de la plume» a été lancée pour la première fois par une de nos amies. Je crois que c’était après un meeting du Parlement au complexe Mateco. Les parlementaires de la plume n’étaient certainement pas une excroissance du parlement, encore moins une cellule de base ou une sous-section. Les parlementaires de la plume existaient avant le parlement. L’hommage à Mongo Beti cristallise en quelque sorte l’existence de ce groupe composé à l’époque d’étudiants de maîtrise ou de doctorat qui avait l’habitude d’écrire des articles dans la presse indépendante et même dans Cameroon Tribune. C’est parce que nous nous connaissions bien que nous avons pu devenir si facilement une composante autonome voire indépendante du Parlement. Nous l’avons fait avec détermination et conviction, mais sans autre allégeance qu’à notre conscience et notre intelligence.

jeudi 19 septembre 2013

Sous les braises, la plume



Livre

Les années de braise. Voilà une expression quelque peu éculée chez nous. Et qui renvoie en ces années cruciales dans le combat pour la liberté au lendemain du vent d’Est. Années dont le souvenir hante encore bien des esprits d’ici et qui sont loin d’avoir dévoilé tout le torrent d’angoisses, de labeur, de peine et parfois d’effroi qu’elles ont causé chez nombre de Camerounais. Camerounais qui au demeurant ont payé un lourd tribut durant ce qui apparaît deux décennies plus loin comme la lutte pour une seconde (et dernière ?) indépendance. Jusqu’à récemment, ces années étaient évoquées sous deux prismes essentiellement : les témoignages et le récit fictionnel. Pour le premier cas, il n’y a qu’à se remémorer par exemple «Mes patrons à dorer» du journaliste et ancien étudiant Se’nkwe P. Modo (Yaoundé, Masseu, septembre 2006, 306 pages) ; «Le journalisme du carton rouge, Réflexions & chronologie des années orageuses» du journaliste et étudiant Edmond Kamguia Koumchou (Yaoundé, L’étincelle d’Afrique, juin 2003, 324 pages) ; ou encore «Education et démocratie en Afrique, Le temps des illusions» (Paris, L’Harmattan et les éditions du CRAC, 1996, 292 pages), recueils d’articles du chercheur en littératures africaines et africaines américaines Ambroise Kom. Pour le second prisme, on peut évoquer le magnifique roman de François Nkémé, «Le cimetière des bacheliers» (Yaoundé, Ifrikiya, 2010 pour la 3è édition). Des écrits qui ont permis en leur temps d’avoir un aperçu des «événements de l’université» comme aimaient à le raconter des témoins, avec souvent une dimension fantasmagorique, voire tronquée.
On en était là jusqu’à ce que les Editions Terroirs du Pr Fabien Eboussi Boulaga nous proposent ces «Mémoires des années de braise. La grève estudiantine de 1991 expliquée». Un ouvrage tant annoncé qu’on avait fini par désespérer de sa sortie. Finalement, il est arrivé, avec en prime deux versions (française et anglaise) en une. Pour le plus grand bonheur des chercheurs sur la question et des Camerounais ordinaires, avides de savoir «ce qui s’était passé» sur le campus de Ngoa Ekellé dans les années 1991, 92 et 93. Années de contestation forte. Où la parole longtemps contenue par la force du parti unique et l’absence de démocratie avait fini par se libérer pour porter aux nues les aspirations d’une population estudiantine qui vraisemblablement n’en pouvait plus.
En présentant les textes qui structurèrent les revendications de ses camarades, Cilas Kemedjio a sans doute fait œuvre utile. Non seulement pour le souvenir, mais également pour indiquer que le temple du savoir que constitue l’université n’est guère un lieu de conformisme, encore moins de l’acquiescement à tout va. Un lieu où la réflexion, du fait des franchises universitaires, ne doit souffrir d’aucune caporalisation. En lisant la somme, l’on est frappé par la capacité d’analyse des «parlementaires de la plume» au double plan des contenus et de la forme. Parfois, les pamphlets sont si virulents avec l’establishment que l’on se demande quel était le ressort qui travaillait les méninges dans les chambres des cités universitaires où la débrouillardise avait, comme aujourd’hui encore, tous ses droits. L’auteur fait simplement savoir que la volonté de l’époque était de graver ce qui se passait dans le marbre de l’écriture qui seule peut survoler le temps et les époques. Ce d’autant plus que les grèves précédentes souffriront ad vitam aeternam de ce manque de consignation écrite.
Par ailleurs, le livre présente en filigrane l’engagement de ceux-là qui à un moment donné ont souffert du délit d’être étudiant, subi les pires des humiliations (que l’on se souvienne de l’étudiante Ange Guiadem Tekam promenée toute nue sur le campus) ainsi que des disparitions inexpliqués, voire provoquées et des morts (Collins Djeungoué Kamga et beaucoup d’autres anonymes). Toutes choses qui, ajoutée à la répression du pouvoir en place tentant de contenir la grève ont jeté de l’huile sur un feu qui n’avait que trop rongé son frein depuis quelques années et qui ne se fit point prier pour embraser le campus et les environs. On vit ainsi, à en croire les écrits, une chasse à l’homme avec battue comme si l’on traquait des bêtes sauvages ou des gangsters.
Avec cette présentation de textes accompagnée de discours d’escorte et d’annotations, bref ce tableau analytique, on en apprend sur la période. Sans toutefois voir sa soif étanchée, car les annotations justement ouvrent la voie pour en savoir plus sur ce pugilat verbal qui structura ces années déterminantes de l’université camerounaise dans sa quête d’existence. Il est donc à espérer que les parlementaires de la plume ne s’arrêteront pas en si bon chemin et offriront à l’avenir une étude plus détaillé de la bataille des logos que surent si bien entretenir les médias de l’époque. Mais peut-être que si noble tâche pourrait intéresser d’autres chercheurs en sciences sociales. Ce qui constituera un bon prolongement à un travail entamé naguère dans des revues de renom comme Peuples noirs-peuples africains, Politique africaine ou Le Monde diplomatique par des chercheurs camerounais et étrangers sur l’une des problématiques les plus pertinentes du siècle passé au Cameroun.
Cilas Kemedjio (Introduction, annotations, analyses), Mémoires des années de grève. La grève estudiantine de 1991 expliquée, Yaoundé, Editions Terroirs, juin 2013, 352 pages.

Parfait Tabapsi