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jeudi 22 août 2013

L’enseignement de toutes les peines

Livre

Avec son premier roman, Kayabochan pose le diagnostic d’une profession plus sinistrée qu’il n’y paraît.
L’enseignement, noble métier ? Oui. Mais ailleurs. Pas au Cameroun. Qui a, depuis la crise économique de la fin des années 80 et l’ouverture démocratique, maille à partir avec ce corps en charge la formation de son élite. A tel point qu’être enseignant aujourd’hui au Cameroun c’est accepter de se mettre dans une situation pour le moins inextricable qui aboutit indubitablement à la dégradation du corps social tout en obérant l’avenir d’une nation qui, on ne le dira jamais assez, a plus d’un atout pour sortir de la misère généralisée.
Comme le démontre Kayabochan dans son roman «La craie noire», ce n’est pourtant pas la vocation qui manque. Ou même le potentiel. C’est plutôt le système, fait de corruption, d’injustice, de tribalisme, de favoritisme, et j’en oublie, qui tire l’enseignant et son métier vers le bas. Vers l’abîme même tant la posture d’enseignant souffre d’une sorte de travestissement et d’irrespect. Au Cameroun, comme sans doute ailleurs pourtant, l’enseignant est au carrefour d’un repère auto-normé. Sur la ligne horizontale, celle des abscisses, il constitue avec la communauté de ses collègues et des parents d’élèves une famille dont l’apport est déterminant pour la réussite des enfants. Sur la ligne verticale, celle des ordonnées, le prof est au milieu d’une relation qui fait de lui un exécutant et un ordonnateur en même temps. Exécutant du point de vue administratif, ordonnateur du point de vue pédagogique.
Tout serait simple si ce repère était autonome et que l‘enseignant avait une marge de manœuvre suffisante pour former le Camerounais de demain. On en est loin comme le fait savoir en filigrane Kayabochan. Clochardisé, l’enseignant joue d’abord sa survie, y pense en premier. Vivant dans la misère souvent comme son héros, il se doit de subvenir au besoin de la maisonnée si ce n’est de la famille ; avant même les siens. Puis, il doit former des élèves qui ne lui facilitent pas la tâche du fait de leur indiscipline souvent encouragée par les parents eux-mêmes. Après quoi il doit subir les ordres et contrordres, souvent tordus et dépourvus de tout bon sens, de la hiérarchie administrative. Le tout avec parfois un zeste de mépris et de condescendance.
Réduit ainsi à avaler des couleuvres au quotidien, sa fonction sociale s’en trouve affectée pour le mal d’une société camerounaise dont les priorités gouvernementales semblent confiner à l’accumulation sans réserve et tous azimuts. Résultat des courses, l’enseignant se retrouve à penser «qu’aucun métier ne nous fait mieux sentir parfois la monotonie de la vie que l’enseignement». Et pour conjurer cette monotonie, rien de mieux que de plonger dans «la malédiction des enseignants (à savoir) les vacations dans les établissements privés», qui en fait multiplie les problèmes plus qu’il ne les résout.
Avec ce beau texte, Kayabochan, qui commet là son premier ouvrage perso, nous renseigne sur un métier qu’elle pratique depuis près de deux décennies. Dans une langue châtiée qui gagnerait pour les prochaines créations à être plus serrée dans la narration, surtout si elle veut suivre les pas de ce Séverin Cécil Abéga qui lui a «transmis le goût de l’enseignement des lettres», qui était un conteur né, et à qui elle rend hommage dès le frontispice. On sort de son récit un peu ébaubi par la réalité dans les lycées et collèges, mais surtout groggy. Tant ce métier ainsi dévalué est central dans le développement de toute nation. L’Etat camerounais saisira-t-il cette balle au bond pour en faire un élément de poids dans sa lancée vers l’émergence ?
Parfait Tabapsi
Kayabochan, La craie noire, Yaoundé, Editions Ifrikiya, avril 2013, 152 pages.

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