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vendredi 20 septembre 2013

Cilas Kemedjio: La pensée et l’imaginaire sont menacés chaque fois que nous renonçons au devoir de penser

Littérature

Cilas Kemedjio, USA, 2013.
L’auteur analyse ici le contexte de production de la somme et dit son souhait de se mettre à la disposition de son pays dans son champ de compétence qu’est la critique littéraire.

Pourquoi la publication du livre a-t-elle pris du retard ?
Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à cette première édition des textes originaux du Parlement. Votre question présuppose qu’il existerait des délais par rapport auxquels le texte aurait pris un retard. Je voudrais donc aborder votre question, non pas sous l’angle de quelque délai que ce soit, mais de l’opportunité de la publication des textes en 2013. Les textes du Parlement ont été publiés sous une forme une autre par les journaux tels que La Nouvelle expression, Le Messager, Le Combattant ou encore Peuples Noirs-Peuples Africains, revue fondée et dirigée par Mongo Beti. Les textes non publiés par ces journaux ont fait l’objet d’une distribution pour ainsi dire confidentielle. Je voudrais aussi signaler que nous n’avons jamais placé de restriction sur la publication de ces textes. Nous les considérons comme faisant partie du patrimoine public de l’intelligence camerounaise et africaine. Toute personne physique ou morale aurait pu et peut les publier. Nous ne revendiquons aucun droit d’auteur restrictif. La troisième raison se trouve dans le fait que ces textes avaient été écrits pour formuler les revendications des étudiantes et étudiants. Au départ, il n’existait aucune intention et encore moins un programme de les transformer en publication cohérente. Ceci dit, je dois dire que l’idée de la publication m’est venue en lisant les reportages des journaux camerounais sur les mouvements de protestations à l’Université il y a quelques années. J’ai lu quelque part que ces étudiantes et étudiants se battaient pour avoir des toilettes décentes. Je me suis dit qu’on était tombé très bas. En effet, si les toilettes manquent, comment peut-on imaginer que les bibliothèques soient fonctionnelles, que les enseignements soient à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’une Université. Je me suis aussi dit que ces étudiants n’avaient peut-être pas de mémoire historique pouvant guider leurs protestations. J’ai donc décidé à ce moment de rassembler ces textes dans une édition pouvant permettre aux activistes et chercheurs d’avoir ces textes. L’idée remonte à environ cinq ans. J’ai pris le temps pour faire des recherches au Cameroun (surtout dans les archives du journal Cameroon Tribune), de lire les textes écrits sur le Parlement, y compris la mémorable version qu’en donne Francis Nkeme dans «Le Cimetière des bacheliers» et de rassembler les textes nécessaires. La présente édition découle de cette intention et de ce travail.
Vous commencez votre introduction avec la figure de l’artiste Lapiro de Mbanga qui, à vous lire, a été un traître à la cause des opprimés. Et du coup l’on a envie de vous demander si le  Parlement a lui aussi connu ses Judas et comment vous en êtes venu à bout dans votre lutte pour un mieux être des étudiants à l’époque.
La traîtrise est pour ainsi dire fondatrice de la conscience patriotique camerounaise. Je vous renvoie aux discours de Ruben Um Nyobé qui établit une classification des militants de l’indépendance. Mongo Beti, un des derniers rubénistes, estimait qu’il fallait mettre les traîtres en quarantaine pour éviter que le virus qui les frappait ne contamine toute la tribu de la résistance. Ses joutes avec Hogbe Nlend tournaient autour de cette question éthique. La traîtrise fait partie de la structuration des mouvements progressistes. Elle permet de protéger la pureté de l’idéal quand elle ne devient pas souvent le prétexte des règlements de compte ou des positions alimentaires. La pathétique fragmentation de l’Union des Populations du Cameroun n’est pas étrangère au débat sur les vrais ou les faux héritiers de la conscience patriotique. Je n’ai pas conscience, parmi les parlementaires de la lettre, de quelque soupçon de traîtrise. En ce qui est du Parlement dans son ensemble, je n’ai pas la compétence nécessaire pour répondre à cette question.

A vous lire, l’on ne saisit pas bien comment s’organisait le Parlement. Il y a bien sûr nombre d’éléments sur la stratégie, mais l’on ne sait pas en refermant le livre si le «Parlement de la plume» était une composante du Parlement-association ou une excroissance d’icelui. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point capital dans la compréhension du livre et des événements de l’époque ? 
J’aime beaucoup le titre de votre magazine, Mosaïques. La mosaïque est un patchwork, un assemble de fragments. Le travail de composition doit avoir cependant un objectif clairement identifiable. Le Parlement était, à mon avis, une mosaïque qui fédérait un front de résistances au sein de l’Université. Il y avait clairement un leadership qui a impulsé le mouvement et qui a tant bien que mal assuré la coordination. Je n’appartenais pas à cette cellule dirigeante. En parler serait de la pure imposture. J’ai la conviction, comme le suggérait Paul Aarons Ngomo dit Fanon, dans un échange que j’ai eu avec lui, que le véritable héros de ces mouvements fut et demeure le parlementaire anonyme. Toute étudiante ou tout étudiant qui militait au Parlement avait des raisons personnelles de le faire. La force du Parlement vient de la mise en commun de ces convictions. Les forces de répression, habituées au culte du dictateur unique, ont passé leur temps en vain à poursuivre les leaders du Parlement. Ils ont dépensé vainement leurs énergies à rechercher les forces de l’ombre qui manipulaient les étudiantes et étudiants. Une telle approche s’est avérée désuète devant la force des parlementaires anonymes. Vers la fin, la chasse indiscriminée à l’étudiant montre bien que le bras armé de la dictature avait pris conscience de l’inadéquation de ses méthodes surannées. L’expression «parlementaires de la plume» a été lancée pour la première fois par une de nos amies. Je crois que c’était après un meeting du Parlement au complexe Mateco. Les parlementaires de la plume n’étaient certainement pas une excroissance du parlement, encore moins une cellule de base ou une sous-section. Les parlementaires de la plume existaient avant le parlement. L’hommage à Mongo Beti cristallise en quelque sorte l’existence de ce groupe composé à l’époque d’étudiants de maîtrise ou de doctorat qui avait l’habitude d’écrire des articles dans la presse indépendante et même dans Cameroon Tribune. C’est parce que nous nous connaissions bien que nous avons pu devenir si facilement une composante autonome voire indépendante du Parlement. Nous l’avons fait avec détermination et conviction, mais sans autre allégeance qu’à notre conscience et notre intelligence.

jeudi 19 septembre 2013

Sous les braises, la plume



Livre

Les années de braise. Voilà une expression quelque peu éculée chez nous. Et qui renvoie en ces années cruciales dans le combat pour la liberté au lendemain du vent d’Est. Années dont le souvenir hante encore bien des esprits d’ici et qui sont loin d’avoir dévoilé tout le torrent d’angoisses, de labeur, de peine et parfois d’effroi qu’elles ont causé chez nombre de Camerounais. Camerounais qui au demeurant ont payé un lourd tribut durant ce qui apparaît deux décennies plus loin comme la lutte pour une seconde (et dernière ?) indépendance. Jusqu’à récemment, ces années étaient évoquées sous deux prismes essentiellement : les témoignages et le récit fictionnel. Pour le premier cas, il n’y a qu’à se remémorer par exemple «Mes patrons à dorer» du journaliste et ancien étudiant Se’nkwe P. Modo (Yaoundé, Masseu, septembre 2006, 306 pages) ; «Le journalisme du carton rouge, Réflexions & chronologie des années orageuses» du journaliste et étudiant Edmond Kamguia Koumchou (Yaoundé, L’étincelle d’Afrique, juin 2003, 324 pages) ; ou encore «Education et démocratie en Afrique, Le temps des illusions» (Paris, L’Harmattan et les éditions du CRAC, 1996, 292 pages), recueils d’articles du chercheur en littératures africaines et africaines américaines Ambroise Kom. Pour le second prisme, on peut évoquer le magnifique roman de François Nkémé, «Le cimetière des bacheliers» (Yaoundé, Ifrikiya, 2010 pour la 3è édition). Des écrits qui ont permis en leur temps d’avoir un aperçu des «événements de l’université» comme aimaient à le raconter des témoins, avec souvent une dimension fantasmagorique, voire tronquée.
On en était là jusqu’à ce que les Editions Terroirs du Pr Fabien Eboussi Boulaga nous proposent ces «Mémoires des années de braise. La grève estudiantine de 1991 expliquée». Un ouvrage tant annoncé qu’on avait fini par désespérer de sa sortie. Finalement, il est arrivé, avec en prime deux versions (française et anglaise) en une. Pour le plus grand bonheur des chercheurs sur la question et des Camerounais ordinaires, avides de savoir «ce qui s’était passé» sur le campus de Ngoa Ekellé dans les années 1991, 92 et 93. Années de contestation forte. Où la parole longtemps contenue par la force du parti unique et l’absence de démocratie avait fini par se libérer pour porter aux nues les aspirations d’une population estudiantine qui vraisemblablement n’en pouvait plus.
En présentant les textes qui structurèrent les revendications de ses camarades, Cilas Kemedjio a sans doute fait œuvre utile. Non seulement pour le souvenir, mais également pour indiquer que le temple du savoir que constitue l’université n’est guère un lieu de conformisme, encore moins de l’acquiescement à tout va. Un lieu où la réflexion, du fait des franchises universitaires, ne doit souffrir d’aucune caporalisation. En lisant la somme, l’on est frappé par la capacité d’analyse des «parlementaires de la plume» au double plan des contenus et de la forme. Parfois, les pamphlets sont si virulents avec l’establishment que l’on se demande quel était le ressort qui travaillait les méninges dans les chambres des cités universitaires où la débrouillardise avait, comme aujourd’hui encore, tous ses droits. L’auteur fait simplement savoir que la volonté de l’époque était de graver ce qui se passait dans le marbre de l’écriture qui seule peut survoler le temps et les époques. Ce d’autant plus que les grèves précédentes souffriront ad vitam aeternam de ce manque de consignation écrite.
Par ailleurs, le livre présente en filigrane l’engagement de ceux-là qui à un moment donné ont souffert du délit d’être étudiant, subi les pires des humiliations (que l’on se souvienne de l’étudiante Ange Guiadem Tekam promenée toute nue sur le campus) ainsi que des disparitions inexpliqués, voire provoquées et des morts (Collins Djeungoué Kamga et beaucoup d’autres anonymes). Toutes choses qui, ajoutée à la répression du pouvoir en place tentant de contenir la grève ont jeté de l’huile sur un feu qui n’avait que trop rongé son frein depuis quelques années et qui ne se fit point prier pour embraser le campus et les environs. On vit ainsi, à en croire les écrits, une chasse à l’homme avec battue comme si l’on traquait des bêtes sauvages ou des gangsters.
Avec cette présentation de textes accompagnée de discours d’escorte et d’annotations, bref ce tableau analytique, on en apprend sur la période. Sans toutefois voir sa soif étanchée, car les annotations justement ouvrent la voie pour en savoir plus sur ce pugilat verbal qui structura ces années déterminantes de l’université camerounaise dans sa quête d’existence. Il est donc à espérer que les parlementaires de la plume ne s’arrêteront pas en si bon chemin et offriront à l’avenir une étude plus détaillé de la bataille des logos que surent si bien entretenir les médias de l’époque. Mais peut-être que si noble tâche pourrait intéresser d’autres chercheurs en sciences sociales. Ce qui constituera un bon prolongement à un travail entamé naguère dans des revues de renom comme Peuples noirs-peuples africains, Politique africaine ou Le Monde diplomatique par des chercheurs camerounais et étrangers sur l’une des problématiques les plus pertinentes du siècle passé au Cameroun.
Cilas Kemedjio (Introduction, annotations, analyses), Mémoires des années de grève. La grève estudiantine de 1991 expliquée, Yaoundé, Editions Terroirs, juin 2013, 352 pages.

Parfait Tabapsi