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mercredi 11 décembre 2013

Luc Yatchokeu: un Sisyphe heureux

Portrait musique

Pour une première à Yaoundé, le marché des musiques africaines dénommé Le Kolatier a tenu son pari. Propulsant son promoteur sous les feux des projecteurs. Lui qui depuis près de trois décennies travaille au mieux-être des musiques camerounaises et de la sous-région. Retour sur un parcours mouvementé.

En compagnie du président du Conseil francophone de la chanson.
Par Parfait Tabapsi

C’est un Luc Yatchokeu rasséréné que nous avons retrouvé à Yaoundé le 14 novembre dernier. Près de deux semaines après la clôture de la première vraie édition du Kolatier à Yaoundé. Dans le restaurant de l’IFC, il pouvait se laisser aller, se libérer enfin après moult péripéties dues à la bonne organisation d’un événement qui s’était tenu jusque-là dans son fief de Douala. Où depuis près de trente ans il tente de faire aimer la musique, la «bonne» à ses compatriotes. Engagé qu’il est dans un jeu sans filet pour un art qui est partout présent au Cameroun, mais dont la bonne graine tarde à attirer le grand public plus porté sur l’éphémère, le rythme désordonné et les compositions sans relief.
Si Yatchokeu nous est paru si serein, c’est que Yaoundé semble avoir définitivement déraciné le Kolatier de son antre fétiche de Douala. Où depuis 1999, ce marché des musiques africaines essaie d’inculquer aux mélomanes les sonorités des étoiles montantes en expression aussi bien au Cameroun qu’en Afrique de manière générale. Avec ce rendez-vous 2013, deux événements ont redonné à la vigueur à un promoteur qui quelques semaines auparavant cherchait le meilleur moyen de passer le témoin. Fatigué qu’il était d’avoir l’impression d’être mal compris des institutions camerounaises en charge de la culture. Il y a donc eu ce coup de main du chef de l’Etat qui a tenu à ajouter son grain de sel dans cette sauce déjà bien épaisse. Ensuite, il y a que le Kolatier avait été choisi par le Bureau export de la musique africaine (BEMA) pour porter la première édition du Salon international de la musique africaine (SIMA). Deux coups du destin qui n’ont pas été pour peu dans la réussite de cet événement dont les échos continuent à l’heure même de résonner dans la presse camerounaise et africaine. Un vrai défi relevé avec tact et manière et dont les origines remontent à très loin, aussi bien dans l’espace que dans le temps.
L’amour de la musique chez Yatchokeu remonte en effet au temps des culottes dans la localité de Mbanga, à une heure de route de Douala. En ce début des années 60, le jeune garçon découvre la musique par sa mère, membre d’une chorale. Lors des répétitions et des offices religieux, il apprend ainsi à la connaître, à se laisser «habiter» par elle. Il se souvient qu’à l’époque, il était «très intéressé». Surtout quand, arrivé au lycée, il découvre les artistes de la diaspora. S’il s’initie bien au balafon et à la guitare, il ne jouera d’aucun instrument. Ce qui ne l’empêche pas d’intégrer le club musique du lycée. Lui qui n’en finit plus de dépenser ses maigres économies pour s’acheter des 33 et 45 tours, et plus tard des cassettes. «A l’époque, mes préférés étaient Cat Stevens, Joe Cocker et Francis Bebey», se souvient celui qui reprend les refrains sans discontinuer. Ce qui ne l’empêche pas de mener ses études jusqu’à leur terme, histoire de ne pas fâcher ses parents ou son tuteur de Douala farouchement opposés à son envie de faire de la musique une compagne de route.
«Café central»
Son diplôme de comptable en poche, il se lance dans la vie active. Et trouve rapidement un emploi dans un groupe hôtelier et en devient même l’un des responsables. En ce début des années 80 où la crise ne se fait pas encore sentir, les affaires marchent. Et brusquement, les chiffres baissent. «C’est alors qu’avec mes patrons, nous avons pensé à monter un orchestre pour notre café-restaurant. Et là, ma passion me revient !» Il faut trouver des musiciens, les manager, résoudre des problèmes d’intendance, etc. Retour donc aux premières amours, avec à la clé une entente avec les artistes. Toutes les stars du moment passeront donc par le «Café central» en plein cœur du quartier des affaires Akwa, pas loin de la Place des portiques.  «Je me souviens encore que c’est dans notre café qu’Elvis Kemayo, devenu animateur à la télévision nationale, venait signer les contrats avec les artistes qui allaient passer dans son émission très prisée». Tout cela ravive la flamme et pousse Yatchokeu à s’investir d’avantage. Il crée alors le label CECADINE (Centre camerounais de diffusion et de négoce) qui tente de marier art et business. Il devient aussi producteur avec un premier 33 tours signée Marthe Zambo et qui a pour titre «Anga Jo». «Mon souci alors est de faire connaître les artistes ayant un talent certain, mais passés sous silence par une conjoncture spéciale». Il s’accroche, demande conseil à Claude Tchemeni d’Ebobolo Fia qui signe les grosses pointures à Yaoundé.

Bandjoun Station, the Art Towers !

Arts plastiques

A Bandjoun, village voisin de Bafoussam à l’ouest du Cameroun, le plasticien Barthélémy Toguo a construit une œuvre architecturale qui flatte les sens ainsi qu’un musée et un centre d’art contemporain avec un fond de qualité. Visite guidée.

Incroyable. Magnifique. Impressionnant. Extraordinaire. Samedi 16 novembre à la fin de la cérémonie d’inauguration de Bandjoun Station, c’était la course aux qualificatifs. Tant l’œuvre architecturale et le projet sur lequel il s’adosse étaient tout simplement inhabituels en ce lieu et sans doute au Cameroun et en Afrique. Ce d’autant plus que les autorités avaient tenu à magnifier l’instant de leur présence, histoire de dire que ce projet appartenait désormais à la communauté tout entière si ce n’est à la multitude. De la ministre des Arts et de la Culture au gouverneur de la région de l’Ouest, tout le gratin administratif avait fait le déplacement, à l’exception notable du maire de Pété -et voisin-  Victor Fotso qui avait envoyé sa première adjointe dont le discours ne manqua pas de saluer cette initiative qui en rajoute au statut de ville touristique d’un village qui peu à peu avance vers la modernité.
Pour la ministre Ama Tutu Muna à qui était revenu l’honneur de prononcer le discours d’ouverture de ce musée et centre d’art contemporain, l’émotion était perceptible. D’ailleurs, avant d’engager son laïus, elle fit savoir combien elle était impressionnée par l’initiative et l’œuvre avant de souligner plus loin la capacité de son promoteur à fédérer les compétences nécessaires à son but artistique. Un point de vue qui résonnait en écho de la présentation que Barthélémy Toguo fit de lui-même. Propos dont on put retenir le côté prométhéen de ce gamin né à Mbalmayo où il fit ses premières armes avant de rejoindre l’étranger où, d’Abidjan à Düsseldorf en passant par Grenoble, il fit ses humanités de plasticien auprès de grands maîtres. Pendant 10 ans. Avec pour résultat des œuvres qui irradient depuis une quinzaine d’années les «espaces qui comptent» des œuvres d’art du monde. Comme ce fût le cas par exemple en 2011 quand il lui revint de réaliser l’affiche du prestigieux tournoi de tennis de Roland Garros à Paris.
Bandjoun Station, c’est le projet de sa vie. Un de ceux qui vous étripent, vous aveugle parfois, mais vous positionne dans l’univers collectif comme une singularité. Il y a dix ans, depuis ses appartements du 20è arrondissement, celui dont le travail côtoyait déjà les cimes de l’art contemporain a fait un rêve : celui de contribuer à endiguer la saignée du travail artistique de ses compatriotes et frères d’Afrique. Pas moins. Car après que la colonisation européenne, à travers les administrateurs et les missionnaires, ait emporté l’essentiel du travail artistique d’ici, il se trouve que les travaux d’artistes contemporains sont en grande partie exposés et consommés à l’étranger. Il devient alors «urgent de créer un lieu pour promouvoir l’art et la culture dans sa diversité tout en conservant la production contemporaine aujourd’hui sur le continent africain».
Une posture militante que Toguo assume, lui qui estime qu’il «fallait faire quelque chose de toute urgence. J’ai donc imaginé ce projet et échangé avec des confrères à l’international en vue de faire vivre cet art sur notre continent, c’est-à-dire sur le lieu même que les œuvres n’auraient pas dû quitter.» C’est alors qu’il a commencé à piocher dans les fonds que sa pratique des arts plastiques lui a procuré pour matérialiser son idée. Une première étape conclue par la décision de s’installer à Bandjoun, non parce que c’est son village d’origine, mais simplement parce qu’il ne souhaitait pas perdre de l’anergie à défendre un terrain qu’il aurait acheté ailleurs. Ce sera donc sur les terres familiales que sera bâti Bandjoun Station !

Carrelage et motifs
En voyant la qualité de l’architecture aujourd’hui et la situation au bord de la Nationale n°04, il apert que le choix du terrain fût judicieux. De l’extérieur, l’architecture tranche d’avec l’existant aux environs dans ce quartier de Hiala. La façade principale respire une luxuriance de motifs où la signature de Toguo apparaît clairement : ces têtes communicantes et ces mains sur un pilotis en échelles. Le tout encadré par un carrelage et deux pavés de rectangles multicolores sur les deux barrières de la façade. Sur l’une d’elles, une inscription en ghom à la !, la langue du terroir, souhaite la bienvenue au visiteur. Si déjà ce dernier peut apprécier le travail artistique, c’est une fois dans la cour avec sa tribune à gauche qu’il peut bien apprécier l’architecture. Les deux bâtiments paraissent alors imposants, voire vertigineux. Des baies vitrées alternent d’avec le carrelage des colonnes et de grandes surfaces crépies où reposent des œuvres : il y a là des trèfles, des vases, des animaux de la basse-cour ou simplement des yeux. L’harmonie des couleurs donne également à l’ensemble un cachet familier, une invite à la visite, sanglée qu’elle est dans une simplicité qui convoque l’art local et l’art d’ailleurs.
Dans le bâtiment à gauche, sont proposées sur trois étages une partie du fond collecté par Toguo en 25 ans de carrière. Il y a là les Roberto Matta, Louise Bourgeois, Antoni Tapiès et nombre d’œuvres d’artistes africains comme Frédéric Bouly Bouabré (Côte d’Ivoire), Lillanga (Tanzanie) ou Cyprien Takou Dagba (Bénin). Car il n’était pas question pour le promoteur de ce musée d’alimenter le ghetto africain : «j’ai des œuvres d’une force et d’une pertinence incroyable, inégalable sur le continent», ose d’ailleurs Toguo qui dit disposer d’une collection de plus de 1.000 œuvres. Cet édifice est divisé en cinq plateaux de 120 m² de superficie chacun: un sous-sol pour les rencontres et projections, un salon de lecture au rez-de-chaussée, les deux premiers étages pourront accueillir des expositions temporaires, le troisième niveau quant à lui devant abriter donc les œuvres des artistes du monde entier.
Le bâtiment de droite se compose de l’atelier /studio de quatre étages (22 m de hauteur), soutenus par de solides piliers en béton armé. La structure est surmontée d'un pignon de 11 m de hauteur et couverte d'une charpente à double pyramide qui respecte les règles séculaires de l'architecture traditionnelle locale avec ses toitures effilées.
Un ensemble qui donne aux bâtiments l’allure d’une résidence de notable que Toguo ne tardera sans doute pas à l’être. Par son travail. Le chef supérieur Bandjoun Honoré Djomo Kamga n’était-il pas présent à l’inauguration ? Lui qui dût trouver du temps dans son programme chargé par ces temps de fête culturelle de son peuple –le «Msem Todjom»- pour être de la primeur de cette soirée du 16 novembre et dont le regard trahissait assez singulièrement sa joie devant ce travail d’un fils du terroir.

Ateliers et nature
Ce d’autant plus que le projet de Toguo comporte également un volet agricole. A cinq km du centre d’art contemporain, cinq hectares de plantations bien entretenues expriment la détermination et la postule militante de son promoteur. Un volet qui a pour but d’après Toguo «de développer l’agriculture pour faire face à la détérioration des termes de l’échange qui appauvrit notre continent tout en enrichissant les autres». C’est ainsi que des cultures variées sont en friche ici, avec pour finalité leur transformation sur place. «Il nous faut fixer le prix de nos cultures nous-mêmes», insiste Toguo qui a commencé la torréfaction du café à l’effet de le transformer sur place. Un acte militant et même politique donc Toguo n’est pas peu fier. Pour lui, «Ce volet d'intégration environnementale et d'expérimentation sociale se veut un exemple pour la jeunesse locale afin de créer des liens dynamiques et équitables entre le collectif d’artistes associés au projet et leurs hôtes et démontrer qu’il faut aussi croire à l'agriculture pour atteindre notre autosuffisance alimentaire». Ici également, l’art est au rendez-vous. Chaque parcelle, il y en a cinq en tout, comprend des constructions dont l’architecture détonne d’avec le magnifique paysage alentour. Sur le flanc des collines en effet, Toguo a fait bâtir des constructions aux motifs artistiques qui ne sont pas sans rappeler Bandjoun Station. Sur les murs des maisons avec des toits coniques, un carrelage subtil fait apparaître nettement des œuvres picturales. Quand ce ne sont pas les doigts de la main, c’est une tête qui crache du sang par goutte. Signe sans doute du labeur qu’il y a à travailler sur les flancs. Avec à chaque fois une forte présence du noir sur des couleurs plus brillantes et chatoyantes. Toguo fait d’ailleurs savoir que ces motifs sont fait express vu qu’ils permettront aux artistes en résidence qui le souhaitent de venir travailler dans la nature profonde où les cris d’oiseaux migrateurs et la verdure se le disputent avec de magnifiques vues sur la ceinture montagneuse alentour.
Toutes choses qui ne sont pas rien dans le désir du plasticien d’effectuer son retour au pays. C’est ainsi que Toguo a construit un gigantesque atelier à un km de Bandjoun Station. Où sur deux étages et un sous-sol, il compte se retirer pour ses prochaines créations. Ici aussi, les murs sont décorés de motifs accueillants. Des motifs réalisés par Toguo himself. Encore en chantier, il ne transfère pas moins chez le visiteur l’impression de gigantisme qu’il dégage. Là où l’on pensait à un atelier vétuste, l’artiste a aménagé des salles de travail, de spectacles et de rencontres d’avec des artisans du village. Nul doute que pareil lieu secrétera bientôt des œuvres d’une portée internationale. Pour l’heure, Toguo fait simplement savoir que ce lieu n’est pas simplement un atelier. Il pourra se muer à l’occasion en espace de réjouissance publique, engoncé qu’il est au pied d’un relief où la fraîcheur de la nature n’a pas encore été saccagé par les affres de la modernité.

Parfait Tabapsi

mercredi 4 décembre 2013

Manu dibango: le Cameroun au cœur

Portrait musique

A Paris dans les studias d'Africa N°1.
Malgré son départ en 1949 et de nombreux échecs lors de ses multiples retours, ce poly-instrumentiste continue de chanter son pays natal. Et à 80 ans, il réclame avec conviction un conservatoire pour sauver les talents qui s’y trouvent.

Manu Dibango est un géant. Au propre comme au figuré. Et quand vous le croisez en dehors des sunlights, il vous apparaît plus grand encore. A le voir assis, on a même l’impression qu’il est une force de la nature. Toujours hilare, il aime d’habitude parsemer les échanges d’un fou rire qui, au fil des ans, est devenu une identité remarquable de sa personnalité publique. Dans les locaux de la radio panafricaine Africa n°1, sis rue Faubourg Saint Antoine à deux pas de la Place de la Bastille, où il nous reçoit à Paris en cette après-midi du 22 octobre 2013, il a perdu ce tic. Il semble plus en colère. Une colère rentrée qu’il ne partagera qu’avec nous et pas avec les auditeurs avec qui il a un rendez-vous hebdomadaire.
Et s’il s’adresse aux auditeurs du continent et de sa diaspora à qui il parle des musiques d’Afrique, il n’en demeure pas moins foncièrement camerounais. Arrivé en France après la 2è Guerre mondiale pour poursuivre ses études, il continue de marteler qu’il n’a pas changé. «J’aime le Cameroun, et après, il y a ce qui est dans ce pays et qui va du malus au bonus !». Il insiste pour dire à l’occasion qu’il n’est pas «un musicien camerounais. Je suis un musicien d’origine camerounaise. Ça me permet de ne pas avoir la charge d’être responsable de quelque chose où je ne devais pas l’être. Je suis un peintre qui se sert des couleurs. En restant musicien d’origine camerounaise, j’ai ma liberté de peintre», argumente-t-il.
Son rapport avec le Cameroun dans sa carrière commence en 1963. Installé à Kinshasa, où il avait ouvert un cabaret, il décide de rentrer au bercail sous le conseil de son père. A Douala, il ouvre un autre cabaret. Qui fera long feu, du fait, explique-t-il dans un livre-interview paru il y a une vingtaine d’années, du non-respect des règles de gestion et de l’envahissement de la famille. Ruiné, il repartira en France. Pour revenir au début de la décennie suivante. C’est chez ses parents à Douala qu’il goupille son succès planétaire ‘Soul Makossa’ en effet. Un titre qui au départ devait meubler la face B du disque commandé par l’Etat comme hymne pour la coupe d’Afrique des nations de football qu’organise alors le Cameroun en 1972.
Conservatoire
Ce succès, loin de l’éloigner de son pays, va l’y ramener moins d’une décennie plus tard. Cette fois, il s’installe à Yaoundé où il ouvre un autre cabaret. Nouvel échec. Un peu comme si la terre natale ne voulait pas de lui. De cette période, il dit ne pas garder d’amertume et dès qu’il se rend à Yaoundé, comme il y a quelques semaines, il rend visite à des amis avec qui il parle du bon temps. Dernièrement, il dit avoir rencontré le président de la République à qui il a confié, sur le ton d’une boutade : «M. le président, on danse beaucoup au Cameroun». Une façon à lui de mettre en garde contre la dérive jouissive du corps social qui tend à faire son lit, mais également sur la nécessité d’encadrer ces talents qui n’en finissent plus de poindre. Il dit avoir eu l’oreille de son illustre interlocuteur qui a d’ailleurs demandé à ses collaborateurs de prendre note. Il rappelle au passage et pour l’histoire : «Je me souviens de mon retour au Cameroun le 6 janvier 1963 ; c’était un dimanche. Le lendemain, je suis allé voir Mouasso Priso qui était à la radio avec Jacques Ndicki et, au cours de l’interview, j’ai dit qu’il fallait ouvrir un conservatoire chez nous. Et là on est en 2013 !»
En compagnie de son biographe Gaston Kelman.
Il espère que l’Etat viendra un jour à résipiscence et ouvrira «au moins un conservatoire. Il nous en manque et c’est bien à l’Etat de le faire, par ce que si les privés s’en chargent, très peu d’élèves de classes moyenne pourront y séjourner du fait de la cherté de la scolarité». Il le dit avec sérieux, ajustant ses lunettes de soleil sur un visage plutôt triste. Et ce même s’il reconnaît que «la culture [lui] pose problème. Je ne sais pas s’il y a un projet». Un projet du type «Fleurs musicales du Cameroun», du nom d’un disque paru il y a 30 ans. Et qui rassemblait la crème des musiciens camerounais du moment dans un double disque à succès. Une idée de Guillaume Bwelé, ministre de la Culture d’alors. «On a fait les artistes qu’il y avait à l’époque. Et si certains ont disparu depuis, il y a au moins une trace. Mais où en est-on avec le 2è point ? Y a-t-il un projet dans ce sens ?»

Des questions qui signifient son spleen pour un pays qu’il porte toujours dans son cœur et dans son carquois artistique. Un pays pour lequel il continue d’être un ambassadeur. Lui qui persiste à chanter en langue douala, «par ce que je pense que c’est à partir d’elle que je fais la musique. C’est cette langue qui me donne le son». Tout comme la ligne rythmique de son orchestre depuis 20 ans repose sur des musiciens camerounais. Dans quelques jours, il sera à Yaoundé avec sa famille. Peut-être qu’à l’occasion, il aura une réponse à ses questions. Ou pas. Mais pour lui, la vie continuera, empêtré qu’il est en ce moment dans la tournée de ses 80 ans. Une tournée qui ne passera pas par le bercail où il veut éviter de «faire le concert de trop».
Parfait Tabapsi à Paris

Adèle Etogo : passion chant

Portrait musique

Lors des répétitions de la chorale à Yaoundé.
Les mélomanes avertis que vous êtes conviendrez certainement avec moi que l’univers musical camerounais s’enrichit de talents particulièrement jeunes, aux compétences diverses, à l’imagination débordante et à la créativité trépidante.
Il y a exactement un an, j’ai eu le plaisir de croiser sur mon chemin une de ces personnes dans un milieu finalement très peu mis en lumière et pas assez connu des médias nationaux. Je voudrais me risquer à lui trouver des points communs avec une jeune chanteuse anglaise qui a ravi le cœur des férus de musique. Toutes deux s’appellent Adèle, ont pour premier instrument de travail leur voix et nourrissent pour la musique une grande passion depuis leur tendre enfance. Au niveau des genres par contre, elles évoluent dans des couloirs artistiques bien distincts : si le style qu’a choisi Adèle l’Anglaise est très apprécié, on ne peut en dire autant d’Adèle notre compatriote, qui s’est éprise du chant lyrique dès son jeune âge. Cela, elle le tient de son défunt père organiste qui a cultivé chez elle des goûts vraiment spéciaux, en l’initiant très tôt à la musique.
Et à force de belles rencontres dans le milieu choral où elle s’est forgée cette identité, Adèle Etogo, puisqu’il s’agit d’elle, en est arrivée à éprouver différents genres musicaux (classique, folklorique, grégorien, liturgique, madrigaux, opéra, etc.), à développer et à diversifier ses compétences. Des compétences qu’elle a su rapidement mettre à contribution et renforcer, tout d’abord en fréquentant des chœurs privés, dont le Chœur madrigal de René Esso pendant une dizaine d’années, et ensuite en montant son propre chœur, la Schola Cantorum (école de chant), avec la double ambition de professionnaliser le chant choral camerounais et de doter les artistes musiciens en herbe de connaissances et de compétences solides en musique.
Pour l’avoir fréquentée quelques temps, je puis vous dire que notre Adèle, dont la jovialité caractéristique ne laisse assurément pas indifférent, est dotée de qualités exceptionnelles à enseigner le chant et la musique avec aisance et patience, à diriger un chœur avec ferveur et maestria, mais surtout à s’exercer au chant lyrique depuis près d’une vingtaine d’années avec un enthousiasme contagieux.
Si je me fais aujourd’hui le devoir de parler de cette jeune artiste, c’est pour susciter en vous l’envie de l’écouter, d’apprécier son art et de vous laisser séduire par son grain de voix que aurez l’occasion de découvrir en exclusivité à l’occasion du récital qu’elle donnera le 20 décembre prochain. Au programme, des sonorités originales qu’elle veut risquer à nous faire goûter pour nous amener à explorer d’autres genres musicaux qui tranchent avec ce que nous avons l’habitude d’entendre. J’espère avoir aiguisé en vous une forte dose de curiosité qui vous poussera à vivre par vous-mêmes cette expérience artistique en cette fin d’année.

Jacinte Noussi