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dimanche 9 mars 2014

Chapitre six: peur, fatigue et liesse

Cheick Tidiane Seck.
Carnet de route à Abidjan

Moi poule mouillée ? Peut-être. Hier, je suis rentré plus tôt à l’hôtel. C’était dans les coups de 23h et alors que le héros du soir Alpha Blondy n’avait pas encore monté sur scène. La faute à une sorte de paranoïa qui s’est installée en moi à la vue du dispositif sécuritaire auquel cette dernière soirée avait donné lieu. Les policiers avaient en effet investi l’esplanade du Palais de la culture. S’y trouvaient également les gars de l’armée, tous armés de fusils bien en évidence. Alors j’ai pris peur alors que mon métier m’enseigne le contraire. Mais comment faire autrement quand toute la semaine durant j’ai bien observé que la paix des cœurs n’était pas encore la chose la mieux partagée ici ?
Mais avant de rentrer, j’ai vu nombre d’artistes de talent. A commencer par le doyen Cheick Tidiane Seck et son groupe. Après avoir regardé et écouté nombre de ses prestations, dont le dernier lors du concert de son ami Manu Dibango à Würzburg en RFA l’année dernière, j’ai savouré les trois thèmes qu’il a proposés. Son jeu de piano et son adaptation aux écritures musicales contemporaines ne m’ont certes pas surpris, mais de le voir là en vrai m’a plu. Journée de la femme oblige, elles étaient nombreuses les chanteuses africaines à défiler sur les deux scènes apprêtées pour cette clôture. Qu’il s’agisse de la Burkinabé Steelbee ou de la Malienne Miriam Koné, toutes ont assuré. Tout comme Saintrick qui a essayé avec quelque succès de mettre le feu. Pour cette première partie de la soirée, un groupe venu du Maroc a partagé la musique gnawa avec le public avant d’en exécuter une variante très cadencée qui a soulevé les mélomanes qui avaient envahi cette esplanade finalement étroite.
Devant l'hôtel en chantier.
En sortant de cet espace, j’ai encore plus pris peur avec les échauffourées à l’entrée. Situation maîtrisée mais qui pouvait dégénérer à tout moment. De retour à l’hôtel, j’ai allumé la télé pour constater que le show était diffusé mais avec un léger différé. J’ai alors entamé la lecture de quelques articles du magazine Mosaïques en cours de production. Et lorsqu’Alpha Blondy est finalement apparu, j’étais si fatigué que j’ai pu à peine voir deux morceaux. J’ai eu le temps tout de même de voir qu’une liesse sans pareille avait pénétré les lieux. Ce qui finalement constituait pour moi la meilleure image de cette 8è édition qui aura apporté son grain de sel au processus de réconciliation d’un peuple qui a connu les affres d’une guerre dont il aurait pu se passer. Au diable si DJ Arafat, annoncé mais finalement absent, car le public a bien reçu les invités du soir et répondu massivement à l’occasion.

Avec Queen Etémé.
Fatigue
La journée d’hier, je l’ai passé pour l’essentiel à l’hôtel aux prises avec la fatigue. J’en ai profité pour régler quelques affaires courantes au pays et esquisser le rendu final de ce MASA dans les colonnes de Mosaïques. J’ai également reçu la visite d’un chercheur en littérature négro-africaine en la personne d’Adama Mansaké qui coordonne actuellement un ouvrage collectif sur Mongo Beti ici en Côte d’Ivoire et qui n’a pas manqué de me faire savoir que l’écrivain camerounais avait été un visionnaire comme l’attestent ses œuvres. Je suis allé ensuite au QG retirer mes frais de visa avec Monique. Elle en a profité pour se faire examiner par l’équipe médicale du festival. Avant d’aller au concert, j’ai croisé Queen Etémé en partance pour Grand Bassam où elle devait participer à un concert de jazz comme la soirée précédente. Un événement accolé lui aussi au MASA. Elle a déployé tous les trésors de persuasion pour m’amener à y aller. Sauf que je ne pouvais prendre le risque de sortir d’Abidjan sans informer le comité d’organisation. Une erreur fatale pour un journaliste étranger si jamais survient un quelconque pétrin ou pépin.
J’ai fait un tour avant la fermeture au marché de Treichville pour acheter quelques souvenirs pour ma famille. J’y ai croisé un Mandingue de bon cœur qui a comblé mes attentes vu mes ressources financières.

A demain !

samedi 8 mars 2014

Chapitre cinq: escapade à Adzopé

Carnet de route à Abidjan
Une séance de matango à Adzopé.
Décidément, il ne va pas se passer un jour sans que je ne rentre tard et fatigué à mon hôtel. Hier, je suis allé au lit passé 2h du mat. La faute au mal d’oreille persistant de Monique, amie et consoeur du quotidien Mutations. Quelques instants en effet avant le coucher, elle m’a envoyé un sms alarmant et nous sommes partis à la recherche de la pharmacie de garde la plus proche. Que nous avons trouvé à quelques 500m, non sans dompter la peur d’être agressé par les saigneurs de la nuit. Nous avons été rassurés par une patrouille de civils installée au frontispice de l’hôtel. Dieu merci, il n’eût point d’escarmouche et nous avons pu dégotter un médicament qui lui a permis de passer la nuit.
Mais avant cet épisode, quelle journée ! Sorti de l’hôtel autour de 10h, je suis allé porter personnellement ma requête en vue de me faire rembourser les frais de visas et autres transport auprès de la chargé de com’ Chantal Nabalema. Qui m’a reçu avec sourire avant de me promettre de décanter la situation en journée. Elle m’a également remis mes tickets resto pour le restant de mon séjour. Après quoi un certain Luc Hervé qui travaille dans l’organisation m’a proposé le voyage sur Adzopé, à 80 km, où se délocalise le MASA. Ce que j’ai accepté avec empressement, vu que voir du pays, c’est l’un de mes vœux à chaque voyage de presse.
Durant le trajet, j’ai vu un pays paisible et des visages plus avenants. Pas de barrages policiers à vous faire chier comme au Cameroun ; pas de payage non plus, quoi qu’il m’a été dit qu’il y en aura bientôt. En regardant par-dessus la vitre de la voiture les plantations de cacaoyer, je n’ai pu m’empêcher de penser à mon enfance. Quand je détestais souvent aller aux champs avant de m’y résoudre sous la menace de grand-père qui savait aussi, et je dois l’en remercier, me ménager. En voyant ces champs, j’ai imaginé le sens du labeur qui devait être celui des populations qui ont fait de ce pays l’un des premiers producteurs de la fameuse fève au monde.
Le jongleur Cassio.
Nous sommes finalement arrivés à Adzopé en début d’après-midi où nous avons été accueillis par le service d’intendance de la résidence du ministre des Infrastructures Patrik Achi. A la place de l’escargot que je rêvais de manger ici, je me suis contenté du poulet. Nous sommes ensuite, avec d’autres confrères ivoiriens, partis sur le site en plein air de l’événement. Où d’entrée nous avons assisté à un concours du meilleur élève dragueur. Ce qui m’a amusé et conforté à la fois. Car ces gamins ont démontré que l’imagination était une compagne accessible après tout ce qu’ils ont connu. Les musiciens pouvaient alors prendre d’assaut le podium. Non sans que deux conteurs –l’un du pays Atié et l’autre du Niger- aient vanté leur savoir conter. Le jongleur Cassio qui avait voyagé avec nous a également fait une démonstration tout en finesse et en maîtrise qui a ravi le public, moi aussi. Alors qu’un groupe congolais, Lexxus a commencé à nous entraîner vers les territoires du soukouss, voilà que le ministre Achi prenait congé. Nous attirant du même coup. A sa résidence, il s’ouvrit à nos micros et caméras de bon cœur. Pour nous dire combien cette région portait en son sein l’art et la musique que son destin de politicien et de mécène culturel condamnait à accompagner. Et ce quel qu’en fût le prix. Dans ses propos et ses yeux, je lus une détermination de travailler à faire passer à la postérité artistique cette région qu’on dit engendreuse de talents culturels mais qui ont toujours eu du mal à traverser les frontières nationales.
Le groupe kényan.
On attend Meiway
Je suis sorti de cet entretien avec le sentiment qu’il y avait tant à faire pour que la culture, notamment la musique ivoirienne, la vraie, celle qui exhale les senteurs des villages et campagnes, irradie au-delà de la capitale Abidjan. Nous pouvions alors repartir au théâtre des concerts où le groupe Winyo Gikalo du Kenya prolongeait un peu le soukouss de lexxus, avec bien sûr une coloration plus nuancée, quoique le jeu du soliste ne laissait planer aucun doute sur la ligne rythmique saccadé par moments, soyeuse à d’autres. Vers 20h30, il fallait hélas reprendre la route. Pour 90 min de voyage tranquille, sauf à l’entrée d’Abidjan où un accident a dévié le trajet.
Au village du MASA, le défilé de mode était à la fin. Au grand dam de Monique qui voulait le voir. Moi j’ai foncé me restaurer, attendant le passage annoncé de Meiway. Qui allait tarder. A tel point que pris de fatigue, je dus rentrer plus tôt. Manquant ainsi ce moment qui avait attiré tant de monde. Une fois dans ma chambre qui fait face à l’esplanade du Palais de la culture où ont lieux les concerts en plein air, j’ai entendu les clameurs et les sonorités du chanteur originaire d’Appolo, c’est une ethnie ici. Et pour ne pas voir des problèmes à trouver le sommeil, j’ai ouvert mon ordinateur et me suis laissé bercer par le magnifique album «Talking Timbucktu» du magnifique Ali Farka Touré en compagnie du guitariste américain Ray Corder.

A demain !

vendredi 7 mars 2014

Chapitre quatre: gloires d’antan

Carnet de route à Abidjan

Le groupe de papys maliens Super Biton.
C’est avec les sonorités bienveillantes du crooner Bailly Spinto que je me suis endormi ce matin vers 1h. De voir ce papy se déhancher sur la scène du village du festival sis à l’espace lagunaire m’a fait plaisir. Surtout que sa voix n’a pas pris de ride, tout autant que ses mouvements de scène. Son costume bleu pétrole bien mis, ses lunettes de soleil et son couvre-chef penché sur son bord droit lui donnaient une allure d’éternel adolescent. Sa voix de baryton m’a transporté dans l’univers ivoirien où les consonances imbibées des cultures musicales d’Afrique ont dans le passé pris racine et parfumé les compositions de céans. C’est du moins le sentiment qui a été le mien en écoutant ces anciennes gloires d’ici que les organisateurs du MASA ont souhaité mettre en relief. Pour le plus plaisir des fans. Qui ont chanté avec leurs artistes à en perdre la voix tout en se trémoussant pour le plus grand bonheur de ces étoiles dont les radiations jusque-là semblaient s’être éteintes pour toujours. Et ce n’est pas Daouda Koné dit «Le sentimental» qui pensera le contraire ; lui dont les trois chansons du soir ont été reprises presqu’au pied de la lettre par un public conquis et joyeux.
Hier au village, j’ai enfin vu des Ivoiriens vraiment heureux. Passé les doutes des premiers jours également, la mayonnaise du festival est en train de prendre tout doucement. Attirant toujours plus de foule au village. Hier elle était très imposante comparée aux soirs précédents. Etait-ce dû au passage de la première dame Dominique Ouattara ? Question sans doute domestique mais pas bête.
Hier après-midi, j’ai assisté dans l’amphithéâtre de la bourse du travail inauguré en 1971 au spectacle de danse de Simon Abé. Une proposition artistique qui a glacé plus d’un et donné à réfléchir sur le continent par ces temps de guerre tous azimuts çà et là. Avec Jusqu’à quand ? en effet, le danseur a osé la question de l’identité africaine en cette ère de mondialisation. Allons-nous continuer à être la parfaite marionnette de ces empereurs des temps modernes qui nous vendent l’ouverture à l’autre pour mieux nous détruire, ou à tout le moins détruire la part humaine distinctive qui est en nous ? Question philosophique certes mais capitale, surtout en ce pays qui court après une réconciliation qui multiplie les ruses pour le fuir. L’anomie qui semble avoir fait son lit sur le continent horripile tant le danseur qu’il a convoqué dans son parcours chorégraphique des images des leaders politiques d’hier qui ont tant travaillé pour que l’Afrique reste debout avant d’être sacrifiés par leurs propres frères soutenus par qui on sait. Avec pour résultat le chaos qui semble se prolonger au fil des années. En sortant de la salle, je me suis mis à psalmodier des mots de courage, un peu dans le genre que convoqua jadis Stallone dans le personnage de Rocky lors de la bataille avec Dolph Lundgreen dans un des épisodes de cette saga américaine qui n’a jamais quitté ma mémoire. En 45 min, Abé a frappé les esprits et les chœurs du public présent par une proposition à la fois simple et profonde.

Avec Were Were et Michel Ndoh.
Infrastructures
Hier, j’ai croisé Were Were Liking à nouveau dans le village. De la voir ainsi sollicité par des gens de tout âge m’a ému. Elle a accepté de partager notre table et a pu finir son assiette malgré les sollicitations à n’en plus finir. Elle nous a invités à son spectacle dans une commune que nous ne connaissons pas et j’ai été obligé poliment de décliner cette invitation du fait des poches vides, l’organisation n’ayant pas songé à nous proposer de faire le tour de la dizaine d’autres scènes parsemées dans la capitale. Ce qui est bien regrettable. Parlant de scène justement, celle que j’ai vu la veille à Cocody m’a fait penser au Cameroun. Surtout en cette heure où le ministère de la Culture a choisi d’acheter du matériel de sonorisation alors même qu’il n’y a pratiquement pas de scène dans le pays, excepté peut-être le palais des congrès de Yaoundé. De voir une commune disposer d’une scène ouverte démontable de ce niveau parlait plus que tous les discours sur l’investissement dans la culture par l’Etat.
Hier j’ai croisé le journaliste-écrivain Venance Konan dans le hall de notre hôtel. Accompagné d’un garde du corps, le directeur du quotidien gouvernemental que je suis allé saluer m’a un peu fait pitié. De le voir ici en attente d’un journaliste de RFI alors même qu’il a tout un bureau ne me semble pas correct. Quand allons-nous continuer à nous laisser huilier de la sorte ? Imagine-t-on le directeur du Monde allant à la rencontre du même Konan dans un hôtel parisien ? Si au moins il s’agissait de son homologue parisien, c’eût été compréhensible. Mais bon…

A demain ! 

jeudi 6 mars 2014

Chapitre trois: merci Michel Ndoh

Carnet de route

Rencontres professionnelles au CCF.
L’Afrique fourmille de projets aussi inventifs les uns que les autres. Hier au Centre culturel français d’Abidjan (CCF), leurs porteurs les ont présentés dans le cadre de la bourse des projets du MASA. Autour du promoteur des Récréâtrales Etienne Minoungou qui faisait office de modérateur, ils sont venus de tous les coins du continent pour échanger avec le public d’artistes, d’expert et de curieux. Avec en ligne de mire le désir affirmé de «créer des liens et provoquer des intéressements», comme n’a pas manqué de le répéter Minoungou dont la tâche a été facilité par le respect du timing des orateurs qui ont aussi pris le temps de répondre aux questions dans la foulée avant de continuer les échanges en off.
Parmi les panélistes du jour, il y en avait qui provenaient des institutions internationales, des Etats et bien sûr du secteur privé. Et même si la conjoncture économique et sociale a souvent constitué une pesanteur lancinante, de les voir ici a démontré par l’exemple que l’Afrique créative n’était pas morte et que l’avenir n’est pas forcément sombre. Au cours des échanges, d’aucuns en ont profité pour rectifier leurs orientations ou pour les affiner. Pour ma part, je suis reparti la tête bourdonnante, mais heureux. Surtout qu’au Congo se prépare, à en croire le directeur des arts et de la culture de ce pays-là, un gigantesque projet de soutien à la créativité au travers de la mise sur pied d’une cité de la musique ainsi que du soutien aux initiatives privées comme le festival Mantina sur scène du metteur en scène Dieudonné Niangouna qui a récemment fait mouche au festival de théâtre d’Avignon avec son spectacle de cinq heures intitulé Schéda. Un projet qui pourrait inspirer le Cameroun voisin
A la fin des échanges, je me suis entretenu avec quelques experts avant de prendre la direction du village du festival en compagnie de ma célèbre compatriote Were Were Liking auprès de qui m’avait introduit quelques temps plus tôt le grand frère Michel Ndoh, ancien manager à l’espace Ki-yi et actuellement président de l’association Sandja au Cameroun où il milite pour une plus grande résonance et prise en considération des arts. Avec lui, je suis d’ailleurs fortement impliqué dans les activités du REPAC qui porte le festival Le Kolatier dont le dernier exercice a été plus que concluant en novembre dernier à Yaoundé.
Au village, nous avons pris notre déjeuner avant de prendre la direction de Rivera II dans le quartier de Cocody. Là-bas, j’ai découvert –enfin !- le village Ki-Yi Mbock. Que j’ai visité avec une gourmandise certaine, accompagné que j’étais par la reine mère en personne. J’y ai vu un petit musée où les tableaux de Were Were côtoyaient les sculptures provenant de différents pays d’Afrique. J’y ai vu une salle de spectacle d’une profondeur et d’une hauteur répondant aux normes internationale, avec une capacité de 250 places environ réparties sur un orchestre et un balcon. Les résidences d’artistes n’étaient pas en reste. Tout comme le petit amphi qui sert aux répétitions et autres créations. Puis, je me suis entretenu avec la maîtresse de céans qui, bien que devant jouer dans moins de deux heures, a accepté de me parler de cette initiative qui a pu défier une guerre terrible dix ans durant avant de songer à un nouveau départ avec pour locomotive la célébration de son trentenaire cette année.

Reines mères et spiritualité
Le hasard du calendrier aidant, j’ai foncé vers l’ancienne mairie du quartier une fois le visionnage d’une vidéo sur l’œuvre de la Fondation Ki-Yi terminée. Où les spectacles au programme ont pris du retard à l’allumage. Vers 22h, les reines mères (Were Were Liking et Nserel Njock) ont pu enfin monter sur la scène. Pour un show musical à couper le souffle. Où l’assiko camerounais répondait en écho au ziglibiti ivoirien avant de céder la place à la fusion et uu jazz. Pour moi qui voyait were Were sur scène pour la première fois, ce fut à la fois un émerveillement et un régal. Elle dont la musique et le chant transpirent un magnétisme et une spiritualité qui vous transportent dans une Afrique traditionnelle dont le parfum n’irradie que rarement jusqu’à la ville. Cerise sur le gâteau, les reines mères rappent et dansent comme personne, avec une énergie de jouvence, et sanglées dans un costume traditionnel sobre mais imposant. Oublié le poids de l’âge et les difficultés d’une vie parfois tumultueuse mais toujours exaltante. Un moment de pur bonheur pour moi et un signe que décidément le Cameroun est une mère qui a toujours su engendrer des artistes variés et hors du commun.
Lorsque vers une heure du matin Tonton Michel nous a raccompagnés, Monique et moi, j’ai senti comme un appel de l’Afrique profonde à toujours poursuivre cette voie de donner voix aux arts africains, seuls capables de permettre au continent berceau de l’humanité de redorer un blason terni par des conjonctures inextricables et finalement fatales pour sa dignité et le rang qui devraient être les siens. En me levant ce matin, j’ai pris conscience de ce que la voix africaine ne doit jamais se taire. Et même si les couacs n’en finissent plus de se multiplier sur cette terre hospitalière, nos arts et notre culture continueront de constituer le ferment du salut mondial. En ce sens-là, que le MASA ait pu trouver les ressources de repartir ne peut que constituer une bonne chose. Certes l’allumage a eu du mal à prendre mais le plus important finalement n’est-il pas que cet esprit de l’expression artistique tous azimuts en ce lieu meurtri par la folie des hommes soit effective et contribue à ouvrir les yeux sur les possibilités nouvelles à ce pays où nombre d’artistes continentaux ont affiné leurs armes avant de prendre d’assaut la scène mondiale ? Question à un franc que chacun peut méditer.

A demain !

Chapitre deux : des couacs et du plaisir

carnet de route

Au centre de presse au QG du MASA.
Le MASA 2014 a-t-il eu les yeux plus gros que le ventre ? Dans cette question se retrouve sans doute la raison pour laquelle l’organisation a du mal à donner de sa pleine mesure. Hier au QG du festival, le chef d’orchestre de cette 8è salve, Yacouba Konaté, a donné une conférence de presse au cours de laquelle, j’ai été pour le moins étonné. D’entrée, il a fait savoir que l’heure et la date de ce rendez-vous médiatique lui avaient été communiquées seulement le matin même. Et encore, il avait été informé qu’il rencontrerait seulement les journalistes européens. A lui de répondre qu’il n’en était pas question, vu que d’autres nationalités médiatiques étaient présentes. C’est alors que le rendez-vous prévu à 11h a pris un peu plus deux heures de retard.
Avec une faconde qui n’est pas sans rappeler que M. Konaté est prof d’université, le patron du MASA a semblé maître de son événement, trouvant des explications aux premiers couacs survenus dès l’entame et qui continuent allègrement, tels des boutons d’acné sur un visage juvénile, de s’immiscer dans l’organisation. Des excuses, il en a trouvé dans le redémarrage difficile d’un événement à l’arrêt depuis sept ans. «Nous sommes dans la posture de quelqu’un qui tente de faire avancer une voiture qui a été stationnée pendant longtemps», a-t-il plaidé avant d’ajouter que «arriver déjà à faire cette édition était le premier défi à relever». Mais pourquoi fallait-il pardi commencer fort là où une petite foulée aurait suffi avant un grand retour dans deux ans ? En tout cas, beaucoup de confrères non-ivoiriens se sont posé cette question simple.

Lors de la conférence de presse.
D’autres arguments versés au dossier par M. Konaté, s’ils ont eu le mérite de la vérité, n’ont pas convaincu. Ils m’ont plutôt conforté dans l’idée que cette 8è avait d’abord une raison politique pour un gouvernement que nombre d’Ivoiriens, ce n’est pas nouveau, ne portent pas dans leur cœur. D’où la forte charge politique qui sous-tend la tenue du MASA 2014 et qui ne facilite pas la participation populaire escomptée. Surtout que de l’aveu même de son patron, au moins une année aurait été nécessaire pour le préparer, surtout si l’on prend en compte qu’une certaine «faim de fête» plane sur les bords de la lagune. Avec plus de temps, il pense qu’il aurait pu régler les problèmes de retards de vol, de cachets conséquents ; de trouver le moyen d’attirer plus de publics pour la danse et le théâtre, etc.
Entre 11 et 13h, je me suis promené dans le quartier du siège du MASA. Où j’ai échangé avec certains riverains. J’y ai constaté que la joie de vivre n’était pas au rendez-vous, que les visages étaient encore fermés pour la plupart, que le ciel belliqueux n’avait pas encore cédé place au ciel pacifique et ensoleillé. J’en ai déduit, conclusion provisoire certes, que les dieux de la guerre n’étaient pas suffisamment éloignés et que le qui-vive était de rigueur.

J’ai enfin pu mettre un visage sur le nom de Chantal Nabalema, la préposée à la com de d’un événement qui semble lui échapper. Avec qui je n’ai pas beaucoup échangé malheureusement. Elle m’a juste remis deux tickets resto, précieux sésame pour l’invité que je suis, avant de me promettre un kit presse qui a décidément le don de se faire désirer. Et j’ai rempli une fiche de réclamation que je lui ai remise par l’entremise de Francesca Mbaye, la consoeur sénégalaise qui, devant l’inefficacité de l’organisation dont souffre les médias, a repris les choses en main. Nous sommes ensuite partis nous restaurer au village du festival. Où j’ai croisé mon compatriote Ambroise Mbia, le président des Rencontres théâtrales internationales de Yaoundé (RETIC) qui m’a dit animer un atelier dans le cadre du MASA où son expertise est souvent convoquée depuis ses débuts.
J’y ai recroisé elvis Bvouma (administrateur), Simon Abé (danseur) et Giscard Téné (technicien) de la compagnie Simon Abé ; les humoristes Abouna Guanzong et Fils Basseck (compagnie Noctiluk) qui m’ont invité à leur spectacle à 17h30. La compagnie de Guilili devant quant à elle jouer à 19h au CCF. Avant la prestation du chanteur Blick Bassy plus tard sur la scène de l’espace lagunaire du Palais de la culture.

Blick on stage.
Et du plaisir
Je suis rentré à l’hôtel me reposer en espérant pouvoir tenir au moins deux engagements. Sauf qu’à mon réveil 90 min plus loin, le car des journalistes n’était pas disponible. La vache ! Je ne suis finalement arrivé au village du festival que quelques minutes avant le passage de Blick. Manquant ainsi les autres spectacles de mes compatriotes. Pour ce qui est de la soirée, mon coup de cœur est allé au groupe de papys malien Super Bitton qui m’ont rappelé un autre groupe de papys, mais sénégalais celui-là : Orchestra Baobab ! Composé de trois chanteurs, deux guitaristes, un bassiste, un batteur et un percussionniste, le groupe m’a émerveillé avec des compositions salsériques et un jeu épuré. Dommage qu’ils n’aient pas eu plus de temps. Blick quant à lui a défendu avec courage le Cameroun, et ce même si personnellement je n’apprécie pas son registre. Je pensais que la scène m’aiderait à changer d’avis, mais ce ne fût guère le cas. La faute peut-être à ces synthés convoqués pour remplacer basse et chœurs. Je lui ai tout de même fait une interview pour mesurer la suite de son histoire artistique.
Le Guinéen Petit Kandia, que j’avais croisé à Yaoundé en marge du SIMA 2013 a fait, lui, forte impression avec ses compositions très festives. Le public a salué son passage de la plus belle des manières en se laissant aller au chant et à la danse. Nous sommes retournés à l’hôtel dans les coups de minuit.

A demain !

mardi 4 mars 2014

Abidjan serré

carnet de route

En discussion avec Yamguen au Village.
Chapitre un
Premières sensations
Je suis finalement arrivé à Abidjan hier en début d’après-midi. Avec quelques heures de retard et pour participer à la 8è édition du MASA –Marché des arts du spectacle africain- qui a commencé samedi 1er mars. Je suis descendu au Grand hôtel au quartier Plateau. Une enseigne qui a perdu de son aura et que la nouvelle gestion tente de rattraper avec une rénovation dont le côté visible est cette réfection qui fait de l’hôtel de cinq étages un chantier à ciel ouvert.
Si dans la presse j’ai vu mentionnée la mauvaise organisation, je puis témoigner par moi-même que sur ce point-là, le MASA n’a pas démarré fort. Voyez donc. A l’aéroport, je suis tombé nez-à-nez à la sortie de l’aéronef d’Air Côte d’Ivoire avec l’ambassadeur du pays des éléphants à Yaoundé. Qui, lui, attendait des invités camerounais pour la commission mixte dont la réhabilitation effective plus de quatre décennies après sa création et la rencontre de Yaoundé, se tient depuis ce matin. Néanmoins, nous avons été, avec ma consoeur Monique Ngo Mayag de Mutations, entraîné vers le Pavillon d’honneur. Où à la place des petits fours nous avons eu droit à un abandon en règle par une préposée à l’accueil des invités du festival. C’est du moins ce qu’elle nous a dit. Inquiets de perdre nos bagages de soute, nous sommes sortis du Pavillon pour aller les récupérer. Avant de croiser d’autres envoyés du MASA, badge en évidence, qui nous ont permis de remplir les formalités de sortie de l’aéroport.
Sur la route vers l’hôtel, j’ai pas eu le temps de contempler le paysage. Gagné un peu par la fatigue, j’ai somnolé une partie du trajet. J’ai tout de même aperçu des drapeaux marocains et ivoiriens des deux côtés de l'avenue, signe que Mohamed VI avait été bien accueilli depuis son arrivée. Je n’ai pu alors chasser de ma tête les relations tâchées de suspicion entre Houphouët-Boigny et Hassan II dans un passé qui commence à bien s’éloigner.
Une fois au Grand hôtel, Monique et moi avons été abandonné à nous-mêmes. Je suis monté dans ma chambre et n’ai pu trouver le sommeil malgré la fatigue. Je suis alors descendu au hall au bout d’une heure regarder mes méls et régler quelques affaires courantes au pays. J’y ai croisé des confrères et consoeurs d’Afrique. Notamment Fatou Kiné de Dakar que les Journées cinématographiques de Carthage m’avaient permis de connaître en novembre 2012. Allassane Cissoko par contre, je le connaissais que de réputation ; lui qui coordonne le JOCAR –Journalistes culturels africains en réseau. Il s’est montré très sympathique et m’a de suite permis de dégoter mon premier rendez-vous professionnel du MASA. C’est ainsi que j’ai pu en début de soirée interviewer le SG du Dak’art 2014, Babacar Diop Mbaye qui s’est montré très affable sur un événement attendu en mai et juin prochains et où la curatrice camerounaise Elise Atangana sera en pleine lumière aux côtés d’artistes compatriotes.

Noumoucounda Cissoko.
Sourire malgré tout
Le bus qui nous avait transporté jusqu’au lieu du rendez-vous avec M. Mbaye nous a abandonné sans crier gare. A près de 22h, fallait donc nous débrouiller pour partir de Ivotel au village du MASA. Et là Alassane Cissé a été d’un précieux recours. Dans mon ventre, les intestins avaient commencé cette danse qui vous tient en haleine et annihile toute envie de travailler. Eux qui ne s’étaient contenté jusque-là que d’un petit déj offert durant le vol qui a transité par Cotonou. Une fois au village, nous avons foncé au réfectoire, la faim aux talons. Où Alassane nous a gracieusement offert des tickets bien utiles pour la cause. Pendant que l’équipe du MASA se terrait nous ne savons où. Après un repas copieux et une bonne bière, j’étais d’attaque pour mettre mes sens en mouvement comme il se doit pour tout reporter en couverture.
Si la scène avait commencé à cracher les artistes, moi j’attendais particulièrement le passage du Sénégalais Noumouncounda Cissoko. Et dans l’espace, j’ai croisé le poète et plasticien Hervé Yamguen qui m’a appris être en exposition pas loin depuis le 21 février et après une résidence de quelques semaines. Une date qui m’a rappelé que son compère Pascale Marthine Tayou poursuivait son expérimentation des colons également dans cette ville d’Abidjan, à la galerie de Cécile Fakhoury. Un patronyme qui n’est pas inconnu aux yeux de ceux qui s’intéressent à la Françafrique. Faudrait que j’aille voir ces deux expos d’ici à mon retour !
J’ai également croisé le conteur réputé Binda Ngazolo grâce à Yamguen. On a échangé et promis de nous revoir. Mais la vraie surprise pour moi aura été de croiser le Burkinabé Etienne Minoungou, le cerveau des Récréâtrales, avec qui nous avons entamé une discussion philosophique sur le devenir du continent, et qui fait partie de l’équipe du MASA.
Entre les deux rencontres, j’ai eu droit à la performance, c’est le cas de dire, de Noumoucounda. Qui a électrisé le public avec un jeu de kora très éruptif, accompagné d’une ligne mélodique basé sur les cordes modernes et qui empruntait aussi bien au rock, au jazz qu’au rap. Une prestation ponctuée par des ruptures en cascades que le jeune musicien semble aimer et qui souvent hachait les thèmes pourtant bien maîtrisés. Il ne m’a pas semblé différent de celui que j’avais croisé en marge du 1er Salon international de la musique africaine –SIMA- tenu en marge du Kolatier en novembre passé à Yaoundé. Je ne me suis pas privé de me laisser aller et d’esquisser quelques pas de danse, emporté par ce musicien qui a encore beaucoup de possibilités artistique à sa kora.
Djarabikan Balafon. 
Ce qui est également le cas du jeune groupe abidjanais Djarabikan Balafon composé de trois balafonistes et deux percussionnistes. Avec des reprises des classiques africains d’hier et d’aujourd’hui, ils ont montré une dextérité magnifique ainsi qu’une maîtrise scénique salutaire. Reste que leurs exécutions ont par moment semblé rapides et émotifs là où ils devaient, à mon sens, être un peu plus sérieux et réfléchir à avoir un rapport à l’instrument tout en considération. Vu qu’ils utilisent des instruments qui convoquent plus que le visible, mais bon ce n’est que mon idée, que j’ai d’ailleurs partagé avec certains d’entre eux. En les voyant, j’ai pensé à l’ami et frère Marcel Kemadjou qui aime tant les musiques non saturées d’instruments dits modernes. Et comme il n’y avait pas encore d’album du groupe, je ne pourrais partager avec lui que des émotions que le concert a titillées en moi.
Au village, j’ai croisé enfin le confrère ivoirien Aboubacar Yeo Mba qui a œuvré dans l’ombre afin que je sois du rendez-vous. On a peu échangé mais vu que je suis avec lui dans l’équipe qui produit le gratuit du festival, inséré dans le quotidien gouvernemental Fraternité Matin, on est parti pour des virées professionnelles dans cet Abidjan qui m’est apparu ce premier jour un peu triste. Les nombreux bâtiments et infrastructures routières semblant manquer de cette chaleur qui donne aux villes africaines leur particularité. Je verrai si les jours qui viennent me feront changer d’avis.
A demain !

P.T.



vendredi 7 février 2014

Je reviens de la région du Centre

Je Carnet de route 
Par Parfait Tabapsi
A l'entrée d'Obala: l'électrification est une réalité
Les communes de la région du Centre ont des besoins énormes. Qui se chiffrent en milliards comme on peut le constater dans leurs Plans communaux de développement (PCD) respectifs. Elles n’en finissent plus de rechercher le meilleur moyen pouvant permettre à leurs populations de retrouver enfin le chemin de la modernité. De rompre avec ce passé qui en plus de leur coller à la peau érode le futur même d’un pays qui dans sa soif d’émergence semble les négliger. Pauvres communes diriez-vous, mais c’est ignorer qu’elles regorgent de fils dynamiques, déterminés à vaincre le signe indien par tous les moyens à leur disposition.
Quand l’opportunité s’est présentée à moi de visiter cette région qui m’héberge depuis bientôt dix ans, je n’ai pas hésité. Bien qu’emporté par la lecture du Jeu des perles de verres, le magnifique livre de l’Allemand Hermann Hesse, lieutenant avec d’autres du «roman d’anticipation», j’ai immédiatement dit oui. Même si je savais au départ que ce ne sera pas le meilleur moyen de découvrir cet espace. Vu que pour moi, découverte rime avec échange avec les gens simples et ordinaires. J’ai donc accepté en me disant que cela me permettra de planter quelque jalon pour une prochaine escapade plus préparée et plus bénéfique.
Le 12 décembre donc, j’ai commencé mon embedding. Grâce au Programme national de développement participatif (PNDP) qui souhaitait avec son partenaire de la Banque mondiale visiter quelques réalisations issues de son partenariat avec les communes du Centre. Si j’avais été souvent embarqué par le passé, je savais que cette fois sera différente, au moins parce que j’étais parti pour trois jours de mission sur les routes d’Obala, Nkoteng, Biyouha, Mbalmayo, Oveng, Ngomedzap, Mbankomo, Kama, etc. Et dès le premier jour, j’ai compris qu’il fallait agir vite, garder mes sens en éveil plus qu’à l’accoutumée et surtout parler le plus possible avec les gens ordinaires en regardant d’un œil le déplacement du chef de mission. Pour ne pas être abandonné, surtout que j’étais le seul journaliste ainsi embarqué.
Inauguration d'une pompe à eau pas loin de Nkoteng.
Mon premier haut le cœur survient à Nkoteng. Pas seulement du fait que le goudron qui y mène s’arrête peu après Mbandjock, mais du degré de pauvreté que j’y ai vu. Pour avoir grandi à Njombé, où une grande plantation, appartenant maintenant au groupe Bolloré, existe et m’a fait prendre conscience très tôt des ravages de celles-ci sur les populations autochtones, je me croyais blindé. Que nenni. A Nkoteng, j’ai croisé le visage de la pauvreté la plus abjecte alors même que cette bourgade est située à un jet de pierre d’une grande société industrielle, la Société sucrière du Cameroun (SOSUCAM) pour ne pas la nommer. A l’école publique groupe 4 où nous avons fait escale, j’ai vu des gens simples, affables mais tenaillés par une fatalité sans nom. Dans cette cour d’école, j’ai ressenti le retard des élèves à qui les nouvelles salles de classe faisaient plaisir, mais qui en voulaient beaucoup plus afin que leurs conditions d’apprentissage soient encore meilleures. Alentour, j’ai vu des torchis, des baraques cramoisies, souvent penchées, d’où sortaient de temps à autres des gamins à l’embonpoint prononcé. Ce qui m’a laissé croire qu’ils mangeaient au moins bien.
Que dire d’Obala que j’ai traversé par deux fois ? Rien de nouveau si ce n’est que la ville m’a donné l’impression de grandir, surtout maintenant qu’elle est fendue en deux par une route goudronnée. Ça gazouille de partout, donnant du fil à retordre à un édile pourtant déterminé. J’y ai croisé le sculpteur Eloundou que j’avais rencontré à Yaoundé il n’y pas longtemps et nous avons parlé un peu d’art avant que je ne lui promette une visite très bientôt. Un peu comme celle que j’ai rendu au guitariste et compositeur Vincent Nguini en début d’année et dont les fruits ont été présentés ici même.
A Mbankomo, je n’ai pas ressenti d’émotion particulière. Peut-être parce que la mission s’en est limitée aux villages près de la grande route. C’est donc sur le trajet de Biyouha que j’ai pensé à ce que le pays pourrait être. Si j’étais écrivain, j’en aurais profité pour compiler des éléments en vue d’écrire un roman sur ce qu’aurait été le Cameroun si la bande des Um Nyobé avait réussi leur combat. Un peu sur le modèle du Complot contre l’Amérique écrit par l’Américain Philip Roth et dont je repousse toujours la lecture. J’ai pensé à cela sur la route en terre entre Boumnyébel et Biyouha. Le souvenir du nationaliste et de ses écrits rassemblés par un fils du coin, Joseph Achille Mbembe que j’ai rencontré pour la première fois quelques semaines plus tôt, à Paris, m’a traversé l’esprit. J’ai alors imaginé que c’est dans ces forêts environnantes sans doute que Um et les siens imaginaient le Cameroun et nourrissaient leur nationalisme. Durant le trajet et malgré les nids de poule réguliers, je n’ai cessé d’entrevoir son visage entre les arbres. Je me suis même surpris à entendre une voix paisible, fine mais déterminée qui me semblait être la sienne.
Une route dans la commune de Biyouha. Sans commentaire!
A notre arrivée à Memel, une haie de conseillers municipaux et de notables engoncés dans une tenue du parti au pouvoir m’a quelque peu assommé tout en me réveillant. J’ai alors retrouvé mes réflexes de reporter pour immortaliser les poignées de mains et les échanges. J’ai prêté l’oreille et scruté les alentours. Un calme paisible avait pris possession des lieux ; jusqu’à la mairie où les échanges ont commencé. J’ai alors découvert un maire dynamique, épris de l’avenir de ses populations. Un certain Paul Henri Ngué qui m’a fait bonne impression, tout sanglé qu’il était dans un accoutrement à la gloire du président du RDPC. Son propos fourmillait de ses tentatives d’attirer des ressources financières nouvelles pour sa localité. Mais à la fin de la visite, j’ai eu comme l’impression qu’il n’était pas suffisamment entouré pour mener à bien cette mission difficile. Un de ses proches collaborateurs m’a laissé l’impression d’être en fervent disciple de Bacchus, quand une autre en était encore au stade de l’apprentissage de la politique. Reste le prof de philo à la retraite Archange Tonyé, ancien cadre au ministère de la Culture, que j’ai retrouvé et qui pourrait fort utilement épauler M. Ngué.
Ngomedzap, je la connaissais un peu à travers les épopées d’Oncle Otsama, le personnage truculent qui a fait la notoriété ici et ailleurs d’un fils du coin, l’humoriste Daniel Ndo. Mais du fait que je n’ai plus écouté les histoires de ce personnage, inutile d’en rechercher la correspondance dans la ville que j’ai traversé de part en part. Me rendant même jusqu’à Kama. Ici comme ailleurs, les besoins sont énormes. Le nouvel exécutif communal mené par l’enseignant Tobias Ndjié Mveng prend encore ses marques. La bourgade quant à elle respire une ville coloniale, avec ses anciennes bâtisses et ses comptoirs d’achat de cacao dont les vestiges sont encore présents. L’un des grands défis ici, surtout pour les villages situés loin de la route principale, c’est le désengorgement, les voies de communication pour être bref. Les terres, m’ont assuré les populations, sont encore «en bonne santé» et les forces pour les cultiver d’attaque. Reste à les motiver en stimulant d’un côté les productions de cultures vivrières ou de rente, et de l’autre en réaménageant les routes existantes et en en créant d’autres.

Devant la mairie de Ngomedzap.
La région du Centre, je l’ai donc traversé, rejoignant ses extrémités. J’y ai découvert des gens simples, accueillants, travailleurs, motivés, déterminés à aller bien loin. Ceux qui dans les bureaux à Yaoundé décident du sort du pays profond devraient souvent y faire des descentes, discuter avec les populations qui, bien souvent, n’attendent pas des miracles mais réclament considération. Je suis rentré à Yaoundé plus humble face aux tracas et pesanteurs que surmontent des gens démunies pour donner un sens à leur avenir, à leur destin. J’y ai vu le capitalisme dans sa splendeur dévastatrice pour les riverains. J’y ai croisé le regard hagard d’enfants délaissés mais contents d’aller à l’école. J’y ai croisé des édiles besogneux et ouverts. Une mayonnaise qui ne prendra que si l’Etat, c’est-à-dire ceux en charge de le diriger, décidait d’agir efficacement. Car dans ces villages résonne encore ce que le sociologue Jean-Marc Ela d’heureuse mémoire appelait «le cri de l’homme africain». Un homme de compromis certes, mais un homme fier et digne. 

mardi 14 janvier 2014

Alexander Koch présente les «Nouveaux commanditaires»

Innovation Arts plastiques

Alexander Koch.
C’est dans la cour de Doual’art, en marge du Salon urbain de Douala (SUD 2013), que ce curateur allemand nous a expliqué les ressorts d’un concept qui tente d’investir l’Afrique.

Comment vient au monde ce concept ?
L’artiste plasticien belge François Hers a cherché pendant longtemps un autre modèle pour créer des liens dans la réalité sociale, la responsabilité des gens et la création culturelle. Il était clair depuis longtemps que ce rapprochement était nécessaire. Il y a même aujourd’hui toute une histoire de l’art participatif pour répondre à cette exigence. Hers avait trouvé qu’il y avait un problème avec l’approche suivant laquelle ce sont les artistes qui vont vers la société. C’est-à-dire qu’on est toujours dans une structure de l’offre (compétence, création) ; les citoyens n’ayant guère la possibilité d’aller vers les artistes pour articuler une démarche. La question qui se pose dès lors c’est : comment peut-on créer un modèle, une pratique qui permet au citoyen et à toute personne d’articuler une démarche basée sur leurs désirs, besoins, urgences, conflits, rêves, etc. ?
Et c’est la recherche des réponses qui a abouti à cette trouvaille j’imagine. Comment dès lors s’opérationnalise-t-elle ?
Le modèle «Nouveaux commanditaires» offre une réponse qui est un réseau de médiateurs culturels indépendants et qui rentre en contact avec les individus, c’est-à-dire plus précisément qu’ils reçoivent des demandes, de vagues idées des gens qu’ils rencontrent dans leurs univers respectifs. Ils rentrent dans un échange avec les gens avec pour but de développer une compréhension plus profonde de ce que veulent les gens, afin de pouvoir finalement choisir un art qui sera proposé pour une commande précise. A un moment donné donc, il y a une phrase ou deux sur les exigences que souhaitent les gens sur les œuvres à implanter chez eux. Cette procédure permet aux gens d’entrer en collaboration avec des artistes expérimentés, et donc de participer avec une plus grande responsabilité dans la production culturelle de nos jours. Cette approche permet aussi d’éviter des préjugés de la part des commissaires ou institutions d’art sur les besoins des gens et de faire un choix d’artistes et de médiums idoines. En conséquence, il y a toutes les pratiques culturelles qui sont inhérentes à la pratique du programme «Nouveaux commanditaires» et qui vont de l’architecture aux arts plastiques en passant par la musique, le théâtre, la littérature, le cinéma, la danse, etc.
Quelles est l’étape suivante ?
L’artiste choisi va à la rencontre des commanditaires et après un échange, il va développer un projet qu’il va proposer. C’est la première phase qui est en soit très intéressante parce que souvent il y a un processus de compréhension/négociation entre l’artiste et le commanditaire car ils appartiennent souvent à des réalités différentes. Il y a une nécessité, mais également une occasion de créer une relation de confiance et de collaboration qui normalement n’existerait pas. La proposition peut subir des amendements pour l’affiner. Une fois tout le monde d’accord,  la 2è phase qui est la réalisation commence, avec l’accompagnement du médiateur qui va aider à trouver des financements. Une 3è phase existe qui est la prise de responsabilité des commanditaires sur l’œuvre à travers notamment la médiation envers leurs connaissances. Ce programme encourage ainsi les gens à comprendre une production culturelle comme un élément de la vie en société.
Quels sont les résultats de la matérialisation de ce concept à ce jour ?
Le 1er travail de médiation a commencé en France il y a 20 ans. Avec son bon fonctionnement, d’autres pays européens sont entrés dans la danse, au point d’être une bonne douzaine aujourd’hui. Plus de 100 projets basés sur des décisions prises entièrement par des acteurs locaux ont été réalisés. En 2007, nous avons initié le chapitre d’Allemagne, et avons déjà réalisé trois projets ; plusieurs autres sont en cours. En 2012, je me suis posé la question de l’exportation de ce programme sous d’autres cieux. Où l’on recherche un développement de la société civile en même temps qu’un développement culturel. Après le Nigéria et l’Afrique du Sud, je suis au Cameroun avec cette proposition comme une contribution au débat sur le rôle et la place de l’art dans la société. Je serai content de partager mon expérience et de collaborer dans le cadre de ce réseau international de médiateurs.

Recueillis par Parfait Tabapsi à Douala

Exorcisme au lycée

Cinéma

Les acteurs amateurs à l'issue de la projection de Yaoundé. 
Rendez-vous avec les morts, après une longue parturition, nous promène dans les méandres d’un interdit brisé par la curiosité de lycéens déterminés et joyeux.
La curiosité, voilà une notion pour le moins polysémique, surtout quand il s’agit des ados. Sauf que depuis les exploits des grands explorateurs européens hier et des journalistes aujourd’hui, on sait combien elle est importante pour le salut de l’humanité en général. C’est ainsi que lorsque de jeunes lycéens sont sommés par leurs enseignants de ne point faire valoir leur curiosité jusqu’à un certain endroit de l’établissement, ils ne peuvent que refuser d’obtempérer. Avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. Car à la curiosité, il faut ajouter l’interdit. Deux notions aux antipodes de la vie des ados d’aujourd’hui.
Pour sa première au cinéma, la jeune Matilda Serna a choisi de s’appuyer sur ces deux notions pour donner corps à ses idées. Ce qui, au final s’avère avoir été un cocktail intéressant. Le 21 décembre dernier lors de la projection de Rendez-vous avec les morts –c’est le titre du film- à l’IFC de Yaoundé, le public venu nombreux a consommé l’œuvre avec un appétit parfois bruyant, preuve que la scénariste avait vu juste. Les trois cinéastes aussi. Dans la mesure où durant deux heures, on ne s’ennuie guère. Si la joie des acteurs –tous amateurs et au sein desquels quelques pépites ont éclos comme Julien Bahel ou Prudence Madji- a su ainsi contaminer le public, c’est que l’affaire était bien ficelée au départ. Ce qui n’est pas si étrange que ça vu que ce projet a d’abord épousé la forme de la représentation théâtrale. Avec une réception à l’époque tout aussi intéressante.
Si ce film qui, durant sa tournée dans le sud du pays, a su satisfaire les foules venues en masse, c’est que les ingrédients ont été bons. L’histoire d’abord qui met en scène des étudiants déterminés à briser un interdit pour satisfaire leur curiosité. Interdits en effet de descendre au sous-sol de l’établissement où règnerait une âme damnée, nos braves ados ne s’en verront que plus attirés par cet endroit. Où dort une partie de l’histoire de leur lycée qui des décennies plus tôt avait été incendiée par une de leurs devancières, soupçonnée à raison d’avoir eu des relations amoureuses –autre interdit- avec son enseignant. Et pour parvenir à cette découverte finale, le réalisateur a su bien agencer les scènes in et out. Aidé en cela par des acteurs déterminés et passionnés. Qui dans leur déploiement scénique ont donné plus que le meilleur. Danses urbaines et traditionnelles ont ainsi nappé une œuvre structurée en tableaux. Et même si le son n’a pas paru uniforme pour les oreilles exercées, le résultat est plus que satisfaisant. Et ce même si la fin a constitué le point faible du film avec un prolongement inexpliqué. Il ne reste plus cependant qu’à souhaiter une plus grande diffusion, surtout en direction des lycéens d’ici et d’ailleurs. Cela pourrait les aider à étendre leurs possibilités artistiques et scolaires.

Rendez-vous avec les morts de  Joseph Pascal Mbarga, Julien Willy Nkiam et Rocco Serna Mattia, 120 min, avec Elena Matilda Serna, Bellange Prudence Madi, Julien Hervé Bahel, David Noundji, Alice Mahop ; produit par Rue 1113
P.T.

Aux sources du projet 
Matilda Serna et les comédiens David Noundji et
Maryse Bonny à la première de Yaoundé (de G. à D.)
Il y a cinq ans, la jeune Serna Elena Matilda, qui en a 20 aujourd’hui, écrit un texte, pensé pour le cinéma, qu’elle intitule Rendez-vous avec les morts. En avril 2009, le Centre Italien (CI) de Yaoundé lui demande de l’adapter pour le théâtre afin que les élèves du centre puissent la représenter en italien. Elle traduit donc son oeuvre du français à l’italien et la pièce est présentée le 11 juin 2009 au centre culturel Petit Tam-tam de Yaoundé. Partiellement satisfaite du résultat, Matilda, qui veut que la danse ait une très grande importance dans sa pièce, décide de représenter Rendez-vous avec les morts en français et avec des vrais danseurs. L’aventure commence vers la mi-septembre 2009 : grâce au « bouche-à-oreille », une vingtaine de danseurs semi-professionnels, venant pour la plupart de la réalité hip-hop de Yaoundé, accepte de faire partie du projet, ainsi que quelques élèves du CI et du Lycée français Fustel de Coulanges, camarades de Matilda. Vers la mi-octobre, David Noundji, un comédien professionnel expérimenté intègre la troupe, qui s’est donné entre-temps le nom de Rue 1113, tiré de celui de la rue où il y a la maison auprès de laquelle se déroulent les répétitions tous les mercredis, samedis et dimanches. Avec de l’acharnement, de la confiance et un grand professionnalisme, Noundji accomplit un petit miracle : la comédie musicale Rendez-vous avec les morts, la première dans son genre jamais réalisée au Cameroun et par des artistes Camerounais, est représentée le 15 décembre 2009 au Centre culturel français de Yaoundé, à guichets fermés. Le début d’une aventure qui connaît une nouvelle étape avec ce film.
(Source dossier de presse)


Richard Bona, salsa symphony !

Concert musique

Le bassiste et compositeur de génie a gratifié le public de Yaoundé d’un spectacle de haut niveau malgré les insuffisances de l’organisation.
Cette année encore, elle a remis ça ! Après une première inaboutie en 2013, l’association Trait d’union a une fois de plus mis à contribution Richard Bona. Pour deux dates à Douala et à Yaoundé. Qui ne resteront pas dans les annales, surtout pour la 2è date qui aura souffert des mêmes tares que le concert de l’année dernière dans la même salle du Palais des congrès pris d’assaut par des mélomanes plutôt sages. Tenez donc, cette fois encore, l’on a eu droit au retard camerounais de près de deux heures. Et comme si cela ne suffisait pas, l’acoustique a encore fait un malheur, pas du même acabit que la dernière fois, mais au point que le guest du jour a dû faire savoir son courroux en suppliant les autorités de faire en sorte que lui et ses pairs n’aient plus à essuyer pareille frustration les prochaines fois, eux qui adorent venir jouer au bercail à la première occasion ou presque.
A part cela, et ce n’est pas mince, l’on eût droit à un Bona des grands soirs. Un enchanteur qui a su pénétrer les cœurs avec son jeu à partir d’un répertoire connu. Pour cette fois, le public venu nombreux, eût droit à une déclinaison latino que Richard butine depuis son premier opus en 199. Entouré de six musiciens (deux cuivres, un keyboard, deux percus, un batteur) le fils de Minta a tenu son rang. Avec manière et élégance. Soulevant des applaudissements d’un public qui ne se privât point de reprendre maints refrains sans toutefois pousser plus loin son exubérance. Une sagesse qui a sans doute blessé un héros qui a pourtant tout fait pour qu’il en soit autrement, terminant même son show de 90 minutes part un medley (It’s all right de Ndédi Dibango et Nen Lambo de Bill Loko, deux tubes de makossa des années 80).
Une reprise qui a affiché les limites du genre makossa sur le plan esthétique vu que ces hits d’antan, exécutés à la suite de compositions plus enlevées et complexes, et non moins pénétrantes et entraînantes, a affiché toute sa pauvreté. Oui ce makossa-là tel qu’il se fit entendre ce soir du 21 décembre à Yaoundé n’est pas de ces musiques pouvant faire décrocher la timbale. A moins qu’il ne soit travaillé par des orfèvres de studio comme Guillaume Toto.
Mais avant ce final très dansant au demeurant, Bona et son Mandekan Cubano, c’est le nom de l’orchestre, a fait parler la musique. Avec le souci de ne laisser aucune note à l’abordage, revisitant des thèmes connus et souvent aux antipodes de la salsa comme Mut’Esukudu ou Uprising of kindness avec une application et une pureté remarquables. Que dire alors des thèmes plus proches comme Te Dikalo, Muntula Moto, O sen sen sen ou Ekwa Muato ? Un regard esthétique qui a frisé le nirvana tant le groupe, qui est sur les routes depuis près de deux ans, a su trouver les ressorts dans son jeu pour clouer le public sur son siège. Lui laissant simplement l’occasion d’apprécier, de bien apprécier. Pour le reste, Richard aura été égal à lui-même, usant de son fameux solo vocal qui a exhalé une composition jusque-là inconnue des mélomanes présents. En un mot comme en mille, c’est un père noël avant l’heure qui a enchanté le public de Yaoundé. Avant, il l’a promis, de nouvelles retrouvailles dans cette ville où il a beaucoup d’amis et de la famille.

Parfait Tabapsi